Les chefs du Prolétariat mondial

I.Marx-Engels

Le socialisme scientifique

Marx et Engels ont formulé d’une manière scientifique les principes de la lutte de classe du prolétariat, vers la fin de la première moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire à l’époque du développement rapide du capitalisme et des premiers grands mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière.

Avant eux, beaucoup de penseurs avaient écrit des livres sur le socialisme, dans lesquels ils rêvaient d’une société où il n’y aurait ni pauvres ni riches, où tous seraient égaux et heureux.

Ces écrivains (Saint-Simon, Fourier, Robert Owen) dont le mérite d’ailleurs fut grand, étaient des socialistes, mais leur socialisme, qui ignorait les lois régissant le développement du capitalisme, était utopique. De même que l’Anglais Thomas Morus, qui au XVIe siècle, avait décrit le socialisme imaginaire dans son livre Utopie, ils inventaient des moyens pour refondre la société humaine selon l’égalité et la justice

Ils croyaient suffisant de peindre le tableau idéal de la nouvelle société pour que l’humanité en comprenne les avantages et se rallie tout de suite au socialisme.

Ils ne comptaient pas sur la lutte de classes, mais sur leur propagande qui avait, prétendaient-ils, la vertu de convaincre les rois, les capitalistes et les propriétaires fonciers de renoncer à leurs privilèges et à leurs richesses.

L’œuvre de Marx et d’Engels a prouvé que le socialisme n’est pas un rêve, ni une utopie, mais la conséquence inévitable du développement de la société capitaliste et de la lutte de classes.

Marx et Engels ont expliqué comment le capitalisme a surgi, comment il s’est développé, comment il sera renversé et quel régime social le remplacera. Ils ont prouvé que la société capitaliste est le dernier régime de classe, qu’elle crée toutes les conditions pour le passage révolutionnaire à la société socialiste. Ils ont prouvé que le prolétariat est le fossoyeur de la société capitaliste et le constructeur de la nouvelle société. Ils ont indiqué au prolétariat comment il faut agir pour remporter la victoire.

Marx et Engels ont transformé le socialisme d’utopie en science ; Lénine a dit qu’ils « ont donné à la classe ouvrière la connaissance et la conscience d’elle-même et onto mis la science à la place de la rêverie ».

C’est Marx qui démontra que, jusqu’à nos jours, toute l’histoire est une histoire de lutte de classes, qu’il ne s’agit dans toutes les luttes politiques, multiples et complexes, que de la domination sociale et politique de telle ou telle classe, que pour la classe ancienne il s’agit de maintenir cette domination et pour les classes qui s’é »lèvent de conquérir le pouvoir[1]

L’histoire a été posée pour la première fois sur son véritable terrain. Le fait évident que les hommes, avant tout, mangent, boivent, s’abritent et s’habillent et qu’ils doivent travailler avant de pouvoir lutter pour le pouvoir, s’occuper de politique, de religion et de philosophie, ce fait manifeste, jusqu’à présent complètement négligé, a enfin obtenu droit de cité dans l’histoire[2]

Pour obtenir et préparer la nourriture, pour coudre les vêtements, pour construire des habitations, il faut des outils, des machines, des matières premières, des moyens de production. Le développement des moyens de production, la naissance de nouvelles classes et la lutte entre les nouvelles et les anciennes classes aboutissent inévitablement à des transformations profondes de la structure sociale, au renversement des anciennes classes et à l’avènement au pouvoir des classes nouvelles. Le socialisme scientifique explique pourquoi le développement des forces productives au sein du régime capitaliste et la formation d’une classe de prolétaires mènent au renversement de la domination bourgeoise, à l’instauration de la dictature du prolétariat et à l’édification du socialisme.

Telle est la conception matérialiste du développement historique.

Une autre contribution essentielle de Marx et d’Engels est d’avoir mis à nu le mécanisme de l’exploitation de la classe ouvrière. Ils démontrèrent que le travail est la source de toute richesse et de toute valeur, que la puissance économique de la classe capitaliste repose sur l’appropriation du travail non payé, sur l’appropriation de la plus-value, sur l’exploitation des ouvriers. Marx et Engels onto démontré que l’anéantissement de l’exploitation capitaliste n’est possible que par le renversement révolutionnaire du système capitaliste et par la suppression des classes en général.

Marx et Engels ont donné une base scientifique à la lutte du prolétariat pour le socialisme. Ils ont armé ainsi le prolétariat international d’une théorie révolutionnaire. Ils ont indiqué au prolétariat le chemin du socialisme.

La dictature du prolétariat dans la théorie de Marx et Engels

Le socialisme scientifique est une théorie révolutionnaire. D’après Marx, la tâche de la classe ouvrière n’est pas seulement de comprendre et d’expliquer le monde, mais de le transformer.

Connaissant les lois du développement de la société capitaliste, le prolétariat élabore la tactique de la lutte de classes, se prépare à la lutte pour le socialisme.

Entre la société capitaliste et la société communiste se place la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde. A quoi correspond une période de transition politique où l’Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. [3]

Cet enseignement sur la révolution prolétarienne et sur la dictature du prolétariat constitue le pivot de la doctrine marxiste. C’est pourquoi l’opportunisme international a toujours essayé et s’efforce encore d’ôter au marxisme son contenu révolutionnaire. En falsifiant l’essence révolutionnaire du marxisme, l’adaptant aux intérêts de la bourgeoisie, l’opportunisme international prétend que Marx n’a jamais propagé la théorie de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Alors qu’en 1852, Marx lui-même définissait mieux que personne le contenu essentiel de sa doctrine dans les termes suivants ;

.. En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni leur lutte entre elles. Longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit le développement historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient exprimé l’anatomie économique. Ce que je fis de nouveau, ce fut : I. de démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases de développement historique déterminé de la production ; 2.que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ;  3. que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à une société sans classes[4]

Marx et Engels ont posé tous les problèmes fondamentaux de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Sur la base de l’expérience de la Commune de Paris, de la lutte contre l’anarchisme petit-bourgeois de Bakounine et l’opportunisme de Lassalle, ils ont élaboré la théorie de l’Etat prolétarien, de sa nature de classe, de son organisation, etc…

Marx et Engels ont démontré non seulement la nécessité historique de la dictature du prolétariat, mais ont aussi clarifié de nombreuses questions liées à l’établissement et à l’exercice de cette dictature. Ils ont éclairci la question des alliés de la classe ouvrière,  en particulier de la paysannerie comme réserve principale de la révolution. Ils ont défini le rôle dirigeant du prolétariat par rapport aux masses travailleuses et les voies de la reconstruction socialiste du village.  Marx écrivit que, dans le pays de la dictature du prolétariat la classe ouvrière

doit en sa qualité de gouvernement prendre des mesures à la suite desquelles la situation du paysan s’améliorera immédiatement et il se rangera lui-même aux côtés de la révolution ; des mesures contenant l’embryon du passage de la propriété privée de la terre à la propriété collective et facilitant ce passage afin que le paysan y vienne lui-même par la voie de l’économie.

Marx et Engels ont défini les principes de la politique prolétarienne dans la question nationale et coloniale.  Les mots d’ordre de Marx et Engels « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! », « Les ouvriers n’ont pas de patrie », « Un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre », ont pénétré dans la conscience de chaque prolétaire avancé. Ils indiquent clairement la solution marxiste de la question nationale.  Le marxisme considère la question nationale-coloniale comme subordonnée aux tâches de la révolution prolétarienne. Il attache une grande importance au développement du mouvement national-révolutionnaire qui contribue à la victoire de la révolution prolétarienne.

V.I. LENINE

LA VIE DE KARL MARX[5]

Karl Marx naquit le 5 mai 1818 à Trèves (Prusse rhénane). Son père, avocat israélite

se convertit en 1824 au protestantisme. Sa famille, aisée, cultivée, n’était pas révolutionnaire. Après avoir terminé ses études au lycée de Trèves, Marx entra à l’université de Bonn, puis à celle de Berlin ; il étudia bien le droit, mais surtout l’histoire et la philosophie. En 1841, il achevait ses études, en soutenant une thèse de doctorat sur la philosophie d’Epicure. Ses conceptions faisaient de Marx à ce moment-là encore un hégélien idéaliste. A Berlin, il fit partie du cercle des « hégéliens de gauche » (Bruno Bauer[6] et autres) qui cherchaient à tirer de la philosophie de Hegel[7] des conclusions athées et révolutionnaires.

A la sortie de l’université, Marx se fixa à Bonn, où il comptait sur une chaire de professeur. Mais la politique réactionnaire d’un gouvernement qui, en 1832, avait retiré à Ludwig Feuerbach[8] sa chaire de professeur, lui avait à nouveau refusé l’accès à l’université en 1836 et, en 1841, avait interdit au jeune professeur Bruno Bauer de faire des conférences à Bonn, obligea Marx à renoncer à une carrière universitaire. A cette époque, le développement des idées de l’hégélianisme de gauche faisait, en Allemagne, de très rapides progrès. En particulier depuis 1836, Ludwig Feuerbach commence à critiquer la théologie et à s’orienter vers le matérialisme qui, en 1841, l’emporte entièrement chez lui (l’Essence du christianisme) ;  en 1843, paraissent ses Principes de la philosophie de l’avenir.

Il faut avoir éprouvé soi-même l’action libératrice de ce livre, -écrivait plus tard Engels sur ces ouvrages de Feuerbach. Nous (c’est-à-dire les hégéliens de gauche, Marx y compris) fûmes tous momentanément des « feuerbachiens »[9]

C’est alors que les bourgeois radicaux de Rhénanie, qui avaient certains points de contact avec les hégéliens de gauche, fondèrent à Cologne un journal d’opposition la Gazette rhénane

(qui parut à partir du Ier janvier 1842). Marx et Bruno Bauer y furent engagés comme 

principaux collaborateurs et, en octobre 1842, Marx en devint le rédacteur en chef ; il quitta

alors  Bonn pour Cologne. Sous la direction de Marx, la tendance démocratique

révolutionnaire du journal se précisa de plus en plus et le gouvernement soumit tout d’abord

le journal à une double et même triple censure, en ordonna ensuite la suspension complète à

partir du ler avril 1843. A cette date Marx se vit obligé de quitter son poste de rédacteur, mais

son départ ne sauva pas le journal qui dut cesser de paraître en mars 1843. Au nombre des

articles les plus importants que Marx publia dans la Gazette rhénane, en plus de ceux qui sont

indiqués plus loin (voir bibliographie du marxisme[10]), Engels cite un article sur les conditions

des vignerons de la vallée de la Moselle. Son activité de journaliste avait fait comprendre à

Marx que ses connaissances en économie politique étaient insuffisantes, aussi se mit-il à

L’étudier avec ardeur.

En 1843, Marx épousa à Kreuznach ? Jenny von Westphalen, son amie d’enfance, à laquelle

Il était déjà fiancé quand il était étudiant.  Sa femme était issue d’une famille noble

Réactionnaire de Prusse. Le frère aîné de Jenny von Westphalen fut ministre de l’Intérieur en

Prusse à l’une des époques les plus réactionnaires, de 1850 à 1858. En automne 1843, Marx

Se rendit à Paris pour éditer à l’étranger une revue radicale, avec Arnold Ruge (1802-1880),

hégélien de gauche, emprisonné de 1825 à 1830, émigré après 1848 et partisan de Bismarck

de 1866 à 1870. Mais seul parut le premier fascicule de cette revue intitulée les Annales

franco-allemandes.  Elle dut être suspendue par suite des difficultés de sa diffusion clandes-

tine en Allemagne et de divergences avec Ruge. Dans les articles de Marx publiés par la

revue, il nous apparaît déjà comme un révolutionnaire qui proclame « la critique implacable

de tout ce qui existe » et en particulier « la critique des armes » et fait appel aux masses et

aux prolétariat.

En septembre 1844, Friedrich Engels vint à Paris pour quelques jours, et devint dès lors l’ami

le plus intime de Marx. Tous deux prirent la part la plus active à la vie fiévreuse des groupes

révolutionnaires de l’époque à Paris (la doctrine la plus importante était celle de Proudhon [11]

à qui Marx régla catégoriquement son compte dans la Misère de la philosophie, parue en

1847, et dans une lutte acérée contre les diverses doctrines du socialisme petit-bourgeois, ils

élaborèrent la théorie et la tactique du socialisme prolétarien révolutionnaire,  ou

communisme (marxisme). (Voir les œuvres de Marx à cette époque, 1844-1848).  En 1845,

sur la requête du gouvernement prussien, Marx fut expulsé de Paris, comme révolutionnaire

dangereux. Il alla à Bruxelles. Au printemps de 1847, Marx et Engels s’affilièrent à une

société secrète de propagande, la Ligue des communistes[12]et prirent une part prépondérante

au congrès de cette Ligue (Londres, novembre 1847). A la demande du congrès, ils

rédigèrent le célèbre Manifeste du Parti communiste publié en février 1848. Cet ouvrage

expose avec une clarté et une précision géniales la nouvelle conception du monde, le

matérialisme conséquent embrassant aussi le domaine de la vie sociale, la dialectique

présentée comme la science la plus vaste et la plus profonde de l’évolution, la théorie de

la lutte de classes et du rôle révolutionnaire historique mondial du prolétariat, créateur d’une

société nouvelle, la société communiste.

Lorsque éclata la révolution de février 1848, Marx fut expulsé de Belgique. Il revint à Paris

qu’il quitta après la révolution de mars, pour retourner en Allemagne et se fixer à Cologne.

C’est là que parut, du ler juin 1848 au 19 mai 1849, la Nouvelle gazette rhénane dont

Marx fut rédacteur en chef. La théorie nouvelle se trouve brillamment confirmée par le

Cours des événements révolutionnaires de 1848-1849, et ensuite par tous les mouvements prolétariens et démocratiques dans tous les pays du monde. La contre-révolution victorieuse traduisit tout d’abord Marx en justice (acquitté le 9 février 1849). Il se rendit d’abord à Paris d’où il fut également expulsé après la manifestation du 13 juin 1849, puis il partit pour Londres où il vécut jusqu’à la fin de ses jours.

Les conditions de cette vie d’émigré étaient extrêmement pénibles comme le révèle, avec une

Clarté particulière, la correspondance entre Marx et Engels (éditée en 1913). Marx et sa

famille étaient littéralement écrasés par la misère ; sans l’appui financier constant et dévoué

d’Engels, Marx non seulement n’aurait pu achever le Capital, mais encore aurait fatalement

succombé à la misère. En outre, les doctrines et les courants prédominants du socialisme

petit-bourgeois, du socialisme non-prolétarien en général, obligeaient Marx à mener une lutte

implacable, incessante, à parer parfois aux attaques personnelles les plus furieuses et les 

plus ineptes (Herr Vogt [13]). Se tenant à l’écart des cercles d’émigrés, Marx élabora, dans une

série de travaux historiques, sa théorie matérialiste en s’appliquant surtout à l’étude de

l’économie politique. Marx révolutionna cette science (voir plus loin la doctrine de Marx[14])

dans ses ouvrages Contribution à la critique de l’économie politique (1859) et le Capital

(ler livre, 1867).

L’époque de recrudescence des mouvements démocratiques vers la fin de la décade de

1850-1860 et de 1860 à 1870 appela Marx au travail pratique. C’est en 1864 (le 28 septembre)

que fut fondée à Londres la célèbre première Internationale, l’Association internationale des

travailleurs. Marx en fut l’âme, il fut également l’auteur de son premier appel [15] et d’un grand

nombre de résolutions, de déclarations, de manifestes. En groupant le mouvement ouvrier

des divers pays, en cherchant à orienter dans la voie commune de l’activité les différentes

formes du socialisme non-prolétarien, pré-marxiste (Mazzini[16], Proudhon, Bakounine[17], le

trade-unionisme libéral anglais, les oscillations des lassaliens [18] vers la droite en Allemagne

etc.), combattant les théories de toutes ces sectes et écoles, Marx forgea une tactique unique

pour la lutte prolétarienne de la classe ouvrière dans les différents pays. Après la chute de

la Commune de Paris (1871), sur laquelle Marx dans la Guerre civile en France se prononça

dans des termes si pénétrants, si heureux, si brillants en révolutionnaire et en homme d’action,

et après la scission de l’Internationale par les bakounistes, cette dernière ne put subsister en

Europe. Après le congrès de 1872 à La Haye, Marx décida le transfert du Conseil général

De l’Internationale à New-York. La Ire Internationale avait accompli sa mission historique

et cédait la place à une époque de croissance incomparable du mouvement ouvrier dans tous

les pays –à l’époque de son développement en largeur, de la formation de Partis socialistes

ouvriers de masse, sur la base des divers Etats nationaux.

Son activité intense dans l’Internationale et ses travaux théoriques qui exigeaient des

Efforts encore plus grands, ébranlèrent définitivement la santé de Marx. Il poursuivit son

oeuvre de transformation de l’économie politique et l’achèvement du Capital, en rassemblant une foule de documents nouveaux et en étudiant plusieurs langues (le russe, par exemple),

mais la maladie l’empêcha de terminer le Capital.

Le 2 décembre 1881, sa femme mourut ; le 14 mars 1883 Marx s’endormit paisiblement, dans son fauteuil, du dernier sommeil. Il fut enterré, avec sa femme et leur domestique dévouée, Hélène Demuth, qui était devenue presque un membre de la famille, au cimetière de Highgate, à Londres.

LEONORE MARX

LA VIE DE FRIEDRICH ENGELS

Friedrich Engels est né à Barmen, le 28 novembre 1820. Son père était fabricant (il ne faut pas oublier qu’à ce moment les provinces rhénanes étaient économiquement beaucoup plus développées que le reste de l’Allemagne) ; sa famille était très considérée. Jamais enfant ne ressembla moins à son milieu. Friedrich devait être pour sa famille un « atroce petit canard ». Peut-être ne comprend-elle pas, même maintenant, que le petit canard était un « cygne ». C’est de sa mère qu’il a hérité sa gaité de caractère.

Il commença ses études à Barmen et les acheva au gymnase d’Elberfeld. Il eut d’abord le dessein de suivre les cours de l’université, mais son aversion pour l’enseignement qu’on y donnait et aussi les affaires de sa famille lui firent abandonner ce projet. Un an après avoir terminé ses études et passé l’examen final, il entra dans une maison de commerce de Barmen, puis, pendant un an, il servit comme volontaire à Berlin. En 1842, Engels fut envoyé en Angleterre, à Manchester, dans une maison de commerce où sono père avait des intérêts engagés. Il y demeura deux ans. On ne peut exagérer l’importance qu’eurent pour lui ces deux années passées dans la grande industrie, dans le pays classique du capitalisme. Et ceci peut servi r à caractériser l’homme : pendant qu’il réunissait les matériaux nécessaires pour la publication de son ouvrage sur la Situation des classes laborieuses en Angleterre, il prenait une part active au mouvement chartiste et collaborait régulièrement au Northern Star et au New moral World d’Owen.

Engels retourna en Allemagne en 1844 en passant par Paris où, pour la première fois, il rencontra l’homme avec lequel il était en correspondance depuis longtemps et qui devait devenir l’ami de toute sa vie : Karl Marx. Le premier résultat de cette rencontre fut la publication en commun de la Sainte Famille [19]  et le commencement d’une œuvre qui fut terminée plus tard à Bruxelles et dont Marx, dans sa Critique[20] , et Engels, dans son Feuerbach, nous ont raconté les vicissitudes :

Le manuscrit, deux forts volumes in-8, était depuis longtemps chez un éditeur en Westphalie, quand nous reçûmes la nouvelle que les circonstances n’en permettaient pas l’impression. Nous abandonnâmes le manuscrit à la critique rongeuse des souris, d’autant plus volontiers que nous avions atteint notre but principal – la compréhension de soi-même (Selbstverstaendigung).

Cette même année, Engels écrivit la Situation des classes laborieuses en Angleterre[21] qui est si vrai, maintenant encore, que les ouvriers anglais pensaient qu’elle venait d’être écrite, lorsque, il y a quelques années, parut la traduction anglaise ! Engels écrivit à ce moment différents essais, quelques articles, etc. De Paris, Engels retourna à Barmen, mais pour peu de temps seulement.

En 1845, il suivit Marx à Bruxelles où, véritablement, commença leur travail en commun. La somme de travail qu’ils fournirent à ce moment est considérable. Ils fondèrent une Association des ouvriers allemands et –c’est là le plus important- ils entrèrent dans la Ligue des Justes qui devint plus tard la célèbre Ligue des communistes et qui portait en elle le germe de l’International. Marx, à Bruxelles, Engels, à Paris, furent en 1847 les théoriciens de la Ligue des Justes. Pendant l’été de cette année eut lieu, à Londres, le premier congrès de la Ligue. Engels y assistait comme délégué des associés de Paris. Un second congrès, auquel Marx prit part, eut lieu pendant l’automne de cette même année. L’œuvre qui en résulta, tout le monde la connaît aujourd’hui : le Manifeste du Parti communiste.

De Londres, les deux amis passèrent à Cologne où ils purent déployer toute leur activité pratique. Elle est écrite dans la Neue rheinische Zeitung et dans le procès des communistes de Cologne [22].

Les nécessités du moment et l’expulsion de Marx séparèrent les deux amis pour longtemps. Marx vint à Paris, Engels se rendit dans le Palatinat ; il prit part au soulèvement badois. Il assista à trois batailles et tous ceux qui l’avaient vu au feu parlèrent longtemps de son sang-froid extraordinaire et de son mépris absolu de tout danger.

Engels a publié, dans la Neue rheinische Zeitung un travail sur l’insurrection badoise. Lorsque tout espoir fut perdu, il partit un des derniers pour la Suisse et de là pour Londres où Marx, après son expulsion de Paris, s’était également rendu.

Alors commença dans la vie d’Engels une nouvelle phase. Toute activité politique était devenue, pour le moment, impossible. Marx se fixa à Londres, Engels revint à Manchester, comme commis dans la fabrique de coton où son père était intéressé. Pendant vingt ans, Engels fut condamné à ce travail forcé de la vie de bureau, et pendant vingt ans les deux amis n’eurent que de rares occasions de se trouver réunis. Cependant leurs relations ne furent jamais interrompues. Un de mes premiers souvenirs me reporte à l’arrivée du courrier de Manchester. Les deux amis s’écrivaient presque tous les jours et je me souviens encore de Mohr –c’est ainsi que l’on appelait mon père à la maison [23] -parlant à la lettre pendant qu’il la lisait, comme si celui qui l’avait écrite était présent : « Mais ce n’est pas ça du tout » ou bien « Tu as raison », etc. Mais ce dont je me souviens le mieux, c’est la façon dont Mohr riait en lisant les lettres d’Engels, et si fort que les larmes lui coulaient sur le visage.

A Manchester, Engels n’était pas isolé. Il y avait la Wolff, « le hardi, fidèle, noble précurseur » auquel le premier volume du Capital est dédié et qu’on appelait à la maison Lupus [24] ; plus tard vinrent l’ami dévoué de mon père et d’Engels, Sam Moore (qui a, avec mon mari, traduit le Capital en anglais) et aussi le professeur Schorlemer, un des chimistes les plus renommés de ce temps. Mais si l’on fait abstraction de ces deux amis, c’est avec épouvante qu’on songe à ce que durent être ces vingt années pour un tel homme ! Ce n’est cependant pas qu’Engels se soit jamais plaint !  u contraire, il accomplissait sa tâche avec entrain et sérénité, comme s’il n’y avait eu rien au monde de plus agréable que d’aller à son bureau que de s’asseoir à la table de son bureau. J’étais avec Engels quand ce travail forcé prit fin et je compris alors ce que toutes ces années avaient été pour lui. Je n’oublierai jamais le cri de triomphe : « C’est pour la dernière fois !) qu’il poussa lorsque, le matin, il mit ses souliers avant de prendre pour la dernière fois le chemin du bureau.  Quelques heures après, nous étions assis à la porte à l’attendre, et nous le vîmes à travers le petit champ qui était devant sa maison. Il agitait sa canne en l’air et chantait et rayonnait de joie. Le soir, ce fut une fête au champagne. Nous étions tous à la joie. Lorsque j’y repense maintenant, les larmes me reviennent aux yeux.

En 1870, Engels vint à Londres et prit immédiatement sa part du grand travail de l’Internationale ; il était membre du Conseil général comme correspondant pour la Belgique et plus tard il le fut aussi pour l’Espagne et l’Italie. L’activité littéraire d’Engels était extraordinairement multiple. Articles, brochures, etc., se succédèrent sans fin de 1870 à 1880 ; mais l’ouvrage le plus important fut le Bouleversement de la science par M. Eugène Dühring[25], qui parut en 1878.  Il est aussi inutile de parler de l’influence et de l’importance de cet ouvrage que du Capital.

Pendant les dix années qui suivirent, Engels vint tous les jours chez mon père ; souvent ils allaient se promener tous deux ; souvent aussi ils restaient à la maison, allant et venant dans la chambre de mon père. Chacun avait son côté favori, et l’un et l’autre marquèrent leurs propres trous par leurs volte-face aux coins de la chambre. Ils discutaient sur plus de choses que n’en rêve la philosophie de beaucoup de gens, souvent aussi ils se taisaient tout en marchant l’un à côté de l’autre. Ou bien chacun parlait de ce qui l’occupait principalement à ce moment, jusqu’à ce que, riant aux éclats, ils s’avouaient que, pendant la dernière demi-heure, ils avaient chacun parlé de choses différentes.

Que de choses on pourrait raconter de cette époque ! L »’Internationale, la Commune, les mois où notre maison ressemblait à un asile où tous les exilés étaient les bienvenus ! 

En 1881, ma mère mourut et mon père, dont la santé était ébranlée, resta absent de l’Angleterre pendant quelque temps. Il mourut en 1883.

Ce qu’Engels a fait depuis, tout le monde le sait. Il consacra la plus grande partie de son temps à la publication des œuvres de mon père, à la correction des nouvelles éditions et à la révision des traductions du Capital.  Ce n’est pas à moi de parler de ce travail, ni de ses travaux originaux. Ceux-là seulement qui ont connu Engels pourront apprécier la quantité de travail qu’il fournissait chaque jour, Italiens, Espagnols, Hollandais, Danois, Roumains (il possède admirablement les langues de ces peuples), sans parler des Anglais, des Allemands et des Français, – tous venaient chez lui chercher l’appui de ses conseils.

Pour chacune des nombreuses difficultés que nous rencontrons, nous qui travaillons dans les vignes de notre seigneur, le Peuple, – nous allons chez Engels. Et ce n’est jamais en vain que nous nous adressons à lui. Le travail que tout cela lui demandait dans ces dernières années eût été une charge pour une douzaine d’hommes ordinaires. Et Engels a beaucoup encore à faire pour nous, et il le fera !

C’est là une simple esquisse de sa vie, c’est en quelque sorte le squelette de l’homme – non l’homme lui-même.  Pour donner la vie à ce squelette, je sais toute mon insuffisance et peut-être la tâche était-elle au-dessus de chacun de nous. Nous sommes encore trop près de lui pour le bien voir. Engels a 70 ans, mais il n’y paraît pas. Son corps est encore aussi jeune que son esprit. Il porte ses six pieds de haut et si légèrement qu’on ne le croirait pas si grand. Il a toute la barbe, qui fuit de côté et qui commence maintenant à devenir grise. Ses cheveux sont bruns sans un seul filet blanc ; du moins une recherche attentive n’a pas permis d’en découvrir. Si son aspect est jeune, il est plus jeune encore qu’il ne le paraît. Il est l’homme le plus jeune que je connaisse. Et autant que je me souviens, il n’a pas vieilli dans ces vingt dernières années.

J’ai voyagé avec lui en Irlande en 1869 (et comme il voulait à ce moment écrire l’histoire de l’Irlande, la « Niobé des nations », il était particulièrement intéressant de visiter ce pays avec lui) et puis en Amérique en 1888. En 1869, comme en 1888, il était l’âme de tous les cercles dans lesquels il se trouvait.

A bord des transatlantiques City of Berlin et City of New-York, il était toujours prêt, quel que fût le temps, à faire une promenade sur le pont ou à boire un verre de « lager ».

Je veux m’arrêter encore sur un côté du caractère de mon père, qui appartient aussi à Engels, et j’insisterai d’autant plus que ce côté est moins connu et même méconnu. On a toujours représenté mon père comme une sorte de Jupiter cynique et sardonique, toujours prêt à lancer son tonnerre contre ses amis comme contre ses ennemis. Mais celui qui, même une seule fois, a pu voir ses beaux yeux bruns, si pénétrants et si doux, si pleins d’humour et de bonté ; celui qui a entendu son rire contagieux, celui-là sait que le Jupiter moqueur et froid est un être de pure imagination. Il faut en dire autant d’Engels. On le représente d’ordinaire comme un autocrate, un dictateur, un critique mordant. Cela n’est pas. Il n’y a peut-être jamais eu personne d’aussi doux aux autres, de plus secourable le à tous. Je ne veux pas parler de sa bonté inépuisable envers les jeunes. Il en est dans tous les pays qui pourraient apporter leur témoignage. Je puis dire seulement que je l’ai vu souvent laisser de côté ses travaux personnels pour être utile à quelque jeune. Il n’y a qu’une chose qu’Engels n’a jamais pardonnée – la fausseté.  Un homme qui n’est pas vrai envers lui, plus encore celui qui n’est pas fidèle à son Parti, ne trouve aucune pitié auprès d’Engels. Ce sont, pour lui, des péchés impardonnables. Engels ne connaît pas d’autres péchés. Je veux encore indiquer un autre trait caractéristique. Engels, qui est l’homme le plus exact du monde, qui a, plus que n’importe qui, un sentiment très vif du devoir et surtout de la discipline envers le Parti, n’est pas le moins du monde un puritain. Personne, comme lui, n’est capable de tout comprendre et, partant, personne ne pardonne si aisément nos petites faiblesses.

Ses connaissances sont extraordinairement variées. Rien ne lui est étranger : histoire naturelle, chimie, botanique, physique, philologie (il balbutie en vingt langues, disait le Figaro en 1870),  économie politique et, last not least, la tactique militaire.  En 1870, au moment de la guerre franco-allemande, les articles qu’Engels publia dans le Pall Mall furent très remarqués, car il y prédit la bataille de Sedan et l’anéantissement de l’armée française. C’est depuis ces articles qu’il fut surnommé le Général. Ma sœur l’appelait le « général Staff ». Le nom est resté, et, depuis, Engels est, pour nous, le Général. Aujourd’hui  ce nom a une signification plus étendue. Engels est le général de notre Armée ouvrière.

Il est encore une autre caractéristique d’Engels – peut-être la plus importante – son désintéressement. Alors que Marx vivait encore, il avait l’habitude de dire : « J’ai été deuxième violon et je crois être arrivé à une certaine virtuosité ; j’étais rudement content d’avoir un premier violon tel que Marx ». Aujourd’hui, c’est Engels qui dirige l’orchestre et il est simple et modeste comme s’il était, suivant son expression, « deuxième violon »[26]  

  1. LENINE-STALINE

Les Chefs du Parti

Marx et Engels vécurent et travaillèrent au  siècle, dans les années de l’épanouissement du

capitalisme. Ce fut la tâche de Lénine et de Staline de lutter pour les idées de Marx et

d’Engels dans la période où le capitalisme avait déjà atteint son stade suprême,

l’impérialisme.

Marx et Engels vivaient dans la période où la classe ouvrière ne faisait encore que les

premiers pas dans la voie de la lutte contre le capitalisme. L’époque de Lénine et de Staline,

c’est la période où toutes les contradictions se sont accentuées dans la société bourgeoise, où

la classe ouvrière est devenue une force capable de réaliser la révolution prolétarienne, de

renverser la domination des capitalistes, d’instaurer la dictature du prolétariat et de construire

la société socialiste.

Lénine et Staline n’ont pas seulement continué l’œuvre de Marx et d’Engels, ils ont complété

et développé leurs conceptions  et leur théorie sur la base des riches expériences de la

nouvelle époque. Marx et Engels ne virent que le premier exemple d’Etat prolétarien (la

Commune de Paris 1871). Lénine et Staline dirigèrent pratiquement la Révolution d’Octobre

et le premier Etat prolétarien du monde.

Marx et Engels fondèrent le Parti communiste et l’organisation révolutionnaire mondiale du

prolétariat : « la Ligue des communistes » et la Ire Internationale.  Mais le mouvement ouvrier

de 1840 n’avait pas encore atteint le niveau auquel il arriva à l’époque de l’impérialisme.

Lénine et Staline créèrent le puissant Parti bolchévik et l’Internationale communiste. Le Parti

créé par Lénine dirige maintenant le pays de la dictature du prolétariat, le pays qui s’étend sur

un sixième du globe. La IIIe Internationale créée par Lénine rassemble des millions de

prolétaires révolutionnaires avancés en lutte pour la dictature du prolétariat.

C’est pourquoi nous appelons le marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution

prolétarienne – le léninisme.

Lénine et Staline ont développé dans le marxisme ce que Marx considérait comme essentiel,

la question de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat.   Non seulement ils

ont approfondi et développé cette théorie, mais ils l’ont enrichie par l’expérience

révolutionnaire, en découvrant dans les Soviets la forme concrète de la dictature du

prolétariat.

De même que Marx et Engels à leur époque, Lénine et Staline sont les plus grands théoriciens

de notre temps, les chefs du prolétariat mondial. 

Le rôle de Lénine et de Staline dans l’histoire du Parti bolchévik et du mouvement ouvrier

international consiste en ce qu’ils ont su conduire des millions d’ouvriers et de travailleurs

dans la voie de la révolution prolétarienne. Ils ont su choisir dans chaque situation donnée la

voie juste et assurer ainsi le succès de la lutte pour le pouvoir et pour l’édification du

socialisme.

La science de la direction, ce n’est pas seulement l’appréciation juste des événements, c’est la

science de prévoir à l’avance leur développement ultérieur, d’indiquer la politique juste pour

le Parti dans chaque période donnée.

Diriger signifie non seulement savoir, mais prévoir. Cette capacité nous est donnée par la

théorie révolutionnaire du marxisme-léninisme.

LENINE

Lénine est le fondateur du Parti bolchévik. L’histoire de sa vie, c’est l’histoire des luttes du

Parti.  Au travers des années sombres de la réaction tsariste, par le pénible chemin des

poursuites policières, des arrestations, de la prison, de l’exil, par l’épreuve de la lutte

impitoyable contre le menchevisme et les autres variétés de l’opportunisme, enfin à travers le

feu de trois révolutions et de la guerre civile, Lénine conduisit le Parti bolchévik à la victoire.

C’est dans les années 1890-1900 que s’amassèrent dans la IIe Internationale les forces

opportunistes qui, par la suite, menèrent à la trahison honteuse de 1914. Lénine commença

dès 1895 la lutte contre l’opportunisme, qu’il mena toute sa vie, et épura la doctrine marxiste

des déformations et des falsifications réformistes.

La grandeur de Lénine comme continuateur de Marx et d’Engels consiste précisément en ce qu’il ne fut un esclave de la lettre du marxisme. Dans ses recherches, il observa les indications de Marx, répétant souvent que le marxisme n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action. Lénine savait cela et distinguait nettement la lettre de l’esprit du marxisme, il ne considéra jamais le marxisme comme un dogme, mais s’efforça d’employer le marxisme comme méthode de base dans la nouvelle situation du développement du capitalisme. (Staline)

La période pendant laquelle vécut et lutta Lénine n’était pas la période du capitalisme florissant, mais celle du capitalisme dépérissant, de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne. Elle imposait un nouvel examen d’une série de questions, c’est ce que fit Lénine.

Développant la doctrine économique de Marx, Lénine donna une analyse approfondie de l’impérialisme comme dernière étape du capitalisme.   Il fit ressortir le développement inégal, saccadé des pays capitalistes à l’époque de l’impérialisme qui offre la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays.

Lénine développa la théorie de la dictature du prolétariat, découvrant le pouvoir soviétique comme forme de cette dictature.  Il développa l’enseignement sur les alliés de la classe ouvrière dans la révolution prolétarienne. Il souligna la signification de la dictature du prolétariat comme « type supérieur de la démocratie dans une société de classes. »

Ayant démontré théoriquement la possibilité de la construction du socialisme dans un seul pays, Lénine indiqua les voies et les moyens de la construction victorieuse de la société socialiste dans un pays de dictature prolétarienne, entouré d’Etats bourgeois. 

Lénine réalisa dans la pratique, comme le montre l’expérience de l’Union soviétique, l’idée du rôle dirigeant duo prolétariat dans la révolution et la doctrine du Parti comme avant-garde dirigeante de l clase ouvrière.

Lénine étudia la question nationale-coloniale, en la liant à la question du renversement de l’impérialisme et la posant comme une partie intégrante du problème de la révolution prolétarienne mondiale.

Dans toutes ces questions, Lénine ne se contenta pas de compléter Marx et Engels, mais développa leur théorie, étudiant à fond, d’une manière indépendante et nouvelle, ces questions et leur donnant une solution correspondant à l’époque actuelle.

La grandeur de Lénine ne réside pas seulement dans ses travaux théoriques, mais dans sa direction pratique de la révolution prolétarienne et du gouvernement soviétique. Lénine lia son travail théorique avec la pratique de la lutte contre le tsarisme et Kérenski, avec la pratique de l’édification de l’Etat prolétarien, avec la direction de la guerre civile, de la construction du socialisme. Pour Lénine la théorie était vraiment un « guide pour l’action ».

Lénine forma le Parti au cours d’une lutte incessante contre les courants opportunistes dans le mouvement ouvrier russe et mondial. Elle ne fut pas facile et s’accompagna quelquefois de défaites. Mais la certitude de la victoire n’abandonna jamais Lénine. La défaite ne faisait que décupler les coups portés par Lénine à la bourgeoisie et à ses agents opportunistes.

Le récit suivant de Staline d’une rencontre avec Lénine en 1906, à Stockholm, où les bolchéviks et les menchéviks se réunirent après quelques années d’existence séparée dans ce que l’on a appelé le 4e congrès d’unification, dépeint très bien Lénine au moment de la défaite. A ce congrès, les bolchéviks se trouvèrent en minorité.

            Pour la première fois, je vis Lénine dans le rôle de vaincu. Il ne ressemblait pas le moins du monde à ces chefs qui pleurnichent et se lamentent après la défaite. Au contraire, la défaite avait condensé l’énergie de Lénine et il exhortait ses partisans pour de nouvelles batailles, pour la victoire de demain. Je dis défaite de Lénine. Mais était-ce une défaite ? Il fallait voir les adversaires de Lénine, les triomphateurs du congrès de Stockholm, Plékhanov, Axelrod, Martov et consorts. Ils ressemblaient très peu aux vrais triomphateurs car Lénine les avait pour ainsi dire anéantis dans sa critique implacable du menchevisme[27].

Il y a pour un dirigeant un autre danger : la victoire lui fait perdre la tête, il se laisse aller au contentement, à la quiétude, il ne surveille plus l’adversaire.

            Lénine ne ressemblait nullement à ce type de chefs. Au contraire, c’est justement après la victoire qu’il devenait particulièrement vigilant et prudent[28]

Quand en 1920 le Comité de Moscou du Parti organisa une fête pour célébrer les 50 ans de Lénine, celui-ci choisit comme thème de réponse à tous les saluts, le danger de s’en faire accroire, ou, comme Staline l’a défini par la suite, de se laisser griser par les succès.

Lénine connaissait à merveille les particularités du pays, travaillait sans relâche à l’affermissement de l’alliance du prolétariat et de la paysannerie, à la solution de la question nationale, à l’édification de l’Etat prolétarien, au renforcement de l’unité du Parti bolchévik et à la lutte sans merci contre l’opportunisme. Il travaillait en même temps sans trêve à la préparation de la révolution mondiale. Lénine considérait la Révolution d’Octobre comme une partie indissoluble de la révolution internationale.

Quand la IIe Internationale en 1914 devint définitivement un jouet entre les mains des impérialistes, Lénine mena une lutte énergique contre les chefs opportunistes et centristes de la social-démocratie internationale, pour la fondation de la IIIe Internationale communiste. Ce travail fut couronné par la formation de l’I.C. en 1919.

Il n’est pas de domaine de la vie politique, économique, sociale et culturelle qui n’ait été traité par Lénine. Il n’est pas de domaine de la lutte du prolétariat pour le communisme qui n’ait été étudié dans les œuvres de Lénine. Dans les grandes comme dans les petites choses, dans l’édification socialiste en U.R.S.S., dans le mouvement prolétarien mondial on trouve l’empreinte profonde de la pensée et de la direction de Lénine. L’étendue de l’horizon léniniste, sa vive intelligence et son vaste savoir apparurent dans le fait qu’il sut lier les plus grandes idées aux petits faits de la vie quotidienne, qu’il sut élever les petites choses au niveau des grandes idées.

            Alliance de l’envolée révolutionnaire russe avec l’esprit pratique américain : telle est l’essence du léninisme pratique[29]

E. IAROSLAVSKI

LA VIE DE LENINE[30]

Sous le tsarisme

Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine) est né le 23 avril 1870 à Simbirsk. Ses aïeux étaient paysans. Son père, Ilia Oulianov, était inspecteur des écoles primaires.

A ce moment un duel à mort était engagé entre le parti révolutionnaire de la « Narodnaïa Volia » et le gouvernement tsariste. Le Ier mars 1881, la « Narodnaïa Volia » fit exécuter le tsar Alexandre II.

Le tsar Alexandre III était encore plus autocrate et plus attaché au système féodal que son père. Il fit régner sur le pays le régime le plus cruel. En 1887, fut arrêté et pendu, Alexandre Oulianov, frère de Vladimir Ilitch, qui préparait à Alexandre III le même sort qu’à son père.

En 1887, Vladimir Ilitch sortit du lycée de Simbirsk avec les meilleures notes. Cependant, il ne fut pas admis à l’université de Saint-Pétersbourg, car on craignait qu’il ne marchât sur les traces de son frère. Il entra à l’université de Kazan en automne 1887, mais le 5 décembre déjà il en était exclu pour avoir pris part aux mouvements des étudiants et était relégué dans la province de Kazan ;

Dans l’été de 1889, Vladimir Ilitch se transporta à Samara et c’est là qu’il commença à étudier à fond la doctrine de Karl Marx. C’était alors une chose difficile et dangereuse. Quelques-unes seulement des œuvres de  Marx étaient connues en Russie et leur diffusion était très difficile : la police veillait sur tous ceux qui s’occupaient de cette étude. Lénine était mal vu par la gendarmerie et la police. Ses affaires avec l’Université ne s’arrangeaient point. Ce ne fut qu’en 1891 qu’il reçut l’autorisation de se rendre à Saint-Pétersbourg pour se présenter aux examens de la Faculté de Droit où il reçut le diplôme de la licence.

Dans l’automne de 1893, Vladimir Ilitch se transporta à Saint-Pétersbourg. Il était déjà un dirigeant révolutionnaire accompli. En 1894, il entra dans le cercle de propagandistes social-démocrates.

Avec l’raide d’un groupe d’ouvriers avancs, il réussit à fonder de nombreux cercles, puis, après avoir convoqué des représentants des ouvriers, il posa les fondements de l’organisation qui, en 1895, devint la « Ligue de combat pour l’affranchissement de la classe ouvrière ».

A cette époque, Vladimir Ilitch écrivit : Qu’est-ce que les « Amis du Peuple » et comment ils combattent les social-démocrates.  Lénine y développe la théorie de Marx. Il démontre qu’il est impossible d’arrêter le développement du capitalisme, mais qu’il faut en découvrir les lois et organiser les forces capables de le détruire.

Vers la fin d’avril 1895, Vladimir Ilitch partit pour l’étranger pour entrer en contact avec les marxistes russes qui vivaient alors en exil. Ces camarades avaient fondé en 1883, à l’étranger, le groupe marxiste de « l’Emancipation du travail ». Sous le nom de social-démocrates, ils publiaient des brochures révolutionnaires qu’ils faisaient passer clandestinement en Russie.

Vladimir Ilitch examina avec eux les questions importantes de l’action ultérieure, organisa l’introduction des brochures et journaux révolutionnaires en Russie et, en septembre 1895, revint à Saint-Pétersbourg.

A cette époque, dans la capitale et dans les centres industriels commence le mouvement gréviste. Les ouvriers ne pouvaient plus supporter l’oppression capitaliste. Les cercles éveillaient chez les ouvriers la conscience de la nécessité de la lutte, et le combat s’engagea. Vladimir Ilitch écrivit pour diverses usines des feuilles volantes, des proclamations.

La police est mise en éveil, elle fouille les quartiers ouvriers. Dans la nuit du 9 décembre, la plupart des membres de la « Ligue de combat » sont arrêtés. Lénine est arrêté en même temps que les autres et conduit en prison. Mais il ne se laisse pas décourager. Pendant son emprisonnement, il entreprend un grand ouvrage : le Développement du capitalisme en Russie.

Le 29 janvier 1897, l’affaire Oulianov fut jugée. Lénine fut condamné à la déportation en Sibérie pour trois ans.

Aussitôt arrivé à l’endroit de sa déportation, Lénine se remit à son grand ouvrage, le développement du capitalisme en Russie, qui lui prit des années de travail. En outre, il écrivit une petite brochure intitulée les Objectifs des social-démocrates de Russie.

L’exil de Vladimir Ilitch prit fin le 21 janvier 1900. Dans l’un des voyages qu’il fit ensuite à Saint-Pétersbourg, il fut de nouveau arrêté et resta encore trois semaines en prison. Il comprit alors qu’on ne le laisserait jamais tranquille en Russie et qu’il valait mieux aller à l’étranger et organiser de là le travail révolutionnaire.

Le 16 juillet 1900, Vladimir Ilitch partit pour l’étranger.

Aussitôt arrivé à l’étranger, Lénine publia le journal Iskra (l’Etincelle), dont il était un des rédacteurs. Au moyen de ce journal, qui franchissait clandestinement la frontière, il commença à rallier les forces révolutionnaires, à les grouper et à les orienter vers un but unique.

Il fallait bâtir le Parti. A cette époque, chaque organisation, chaque petit groupe travaillait sans gouvernail et sans boussole, sans direction générale. Or là, où il n’y a pas de direction unique, il n’y a pas de Parti.

Le Parti bolchévik s’est formé en 1903, après le IIe congrès du Parti social-démocrate ouvrier de Russie. La scission avec les menchéviks permit de procéder à un choix judicieux des membres du Pari, à le débarrasser des éléments hésitants et opportunistes.

Sur ces entrefaites, en Russie, le mouvement révolutionnaire se développait. De grandes grèves commencèrent en 1902-1903, ainsi que des émeutes paysannes.

Le gouvernement russe s’est engagé dans la guerre contre le Japon. Dès le début, Vladimir Ilitch se déclare contre cette guerre. Il avait prévu qu’il en sortirait un grand mouvement populaire, et qu’elle ne se passerait pas sans orage. En effet, aussitôt après la défaite de la flotte et de l’armée tsaristes, des mutineries éclatèrent dans la troupe. Déjà le 9 janvier 1905, les ouvriers, à bout de patience avaient résolu d’aller trouver le tsar ; celui-ci les fit mitrailler. Plus d’un millier d’innocents périrent dans les rues de la capitale.

Alors toute la Russie ouvrière se leva. Les émeutes paysannes commencèrent, les châteaux furent incendiés. Dans l’été de 1905, la flotte de la mer Noire, le cuirassé Potemkine en tête, se révolta.

Le 17 octobre 1905, paraissait le manifeste promettant une constitution et le lendemain le sang des ouvriers coulait déjà dans les rues.

Lorsque la nouvelle parvint à Vladimir Ilitch, il résolut de se rendre en Russie sans tarder, quoique cela fût très dangereux. Il s’établit tout près de la capitale. De là il faisait de fréquentes visites dans la capitale pour diriger le mouvement. Mais il ne pouvait pas se montrer sans courir les plus grands périls. Il assista et parla à de nombreuses réunions.

Pendant la révolution se formèrent à Saint-Pétersbourg, Moscou et dans d’autres villes, des « Soviets de députés ouvriers et soldats ». Lénine assistait secrètement aux réunions du Soviet et c’est alors que germa dans sa tête le plan de la constitution du futur Etat soviétique.

Lorsque le mouvement révolutionnaire commença à décroître, Vladimir Ilitch résolut, la mort dans l’âme, sur le conseil et la prière des militants du Parti, de partir une seconde fois à l’étranger pour éviter de tomber entre les mains de la police. Il fallait se regrouper pour une lutte nouvelle.

Ce deuxième exil fut beaucoup plus long et plus pénible que le premier. Des milliers d’ouvriers étaient en prison, des centaines avaient été exécutés. Des centaines de camarades, parmi les meilleurs, traînaient leurs fers au bagne, des milliers étaient déportés dans les régions les plus éloignées.

D’un autre côté, on s’attachait à détruire le Parti de l’intérieur. Les menchéviks préconisaient lâchement la liquidation du Parti.

Vladimir Ilitch soutint de violents combats contre ces « liquidateurs » et aussi contre les « otzovistes » qui menaçaient de couper le Parti des masses.

Il rassembla vingt ou trente ouvriers avancés, expérimentés dans le mouvement, et les arma des doctrines marxistes dans une école qui eut lieu à Longjumeau.

Dès 1910 on voyait des signes d’animation parmi les ouvriers. Dès que Vladimir Ilitch s’en aperçut, il se rapprocha de la frontière, s’installa aux environs de Cracovie, pour diriger de plus près la lutte ouvrière. Là venaient le trouver les députés à la Douma, pour lui demander des instructions. Les camarades venaient lui demander des directives et des conseils. On forma le plan d’un journal publié non pas à l’étranger, mais en Russie même.

E plan ne fut réalisé qu’en 1911. Le journal Zviezda (l’Etoile) commença à paraître à Saint-Pétersbourg. Au commencement de 1910, Vladimir Ilitch convoqua à Prague une conférence panrusse des bolchéviks. Cette conférence eut une importance considérable : après une longue période de confusion, de débandade et d’absence de direction, les bolchéviks se réunissaient de nouveau, décidaient des questions à l’ordre du jour, se traçaient un plan de travail et de lutte. L’objectif principal était le groupement compact des ouvriers d’avant-garde et l’agitation dans la masse.

En 1912, commença à paraître le journal Pravda (k-la Vérité). Dès son apparition, il fut l’objet des poursuites du gouvernement. Mais il était le journal de la classe ouvrière, qui le soutenait de toutes façons, par des collectes dans les cercles, dans les usines, par des cotisations, en envoyant des correspondances sur la vie ouvrière, en le répandant partout. C’est Staline qui rédigeait la Pravda et dirigeait le travail de la fraction bolchévik à la Douma.

Après la fusillade des grévistes des mines d’or de la Léna, le 4 avril 1912, le mouvement ouvrier prit un caractère politique violent. Le massacre sur les bords d’un lointain fleuve sibérien de centaines d’ouvriers excita l’énergie révolutionnaire.

En 1914, peu de temps avant la guerre, le mouvement gréviste envahit des régions entières ; dans certaines localités, on en vint aux collisions armées et aux barricades. Sur ces entrefaites, éclata la guerre de 1914.

Une page s’ouvrit dans l’histoire. Au milieu des sanglots et des détonations, parmi les débris et les ruines et les tranchées ensanglantées, se leva le soleil du communisme et resplendit l’aurore de la IIIe Internationale.

La nouvelle de la déclaration de la guerre toucha Vladimir Ilitch dans un petit village de Galicie où il vivait alors. Il avait prévu depuis longtemps cette guerre. Lorsque, en 1907, le congrès de la IIe Internationale se réunit à Stuttgart Vladimir Ilitch, avec Rosa Luxembourg et quelques autres camarades proposèrent à la motion sur la guerre un amendement révolutionnaire.

En 1914 Lénine a proclamé sans hésitation, après la trahison de la social-démocratie que c’en était fait de la IIe Internationale, qu’(il fallait rallier les forces pour créer une IIIe Internationale, débarrassée de l’opportunisme, capable de combattre la guerre et de remplir son devoir révolutionnaire.

Seul Lénine posa nettement la question. On vit bientôt s’élever contre la guerre des hommes comme Martov et Trotski mais, incapables de mener une lutte sérieuse, ils s’embrouillaient, s’égaraient et égaraient les autres. D’abord à Zimmerwald et ensuite à Kienthal, se réunirent deux conférences socialistes contre la guerre. La majorité combattit Lénine. Ce dernier se vit obligé de traiter des hommes comme Martov d’agents de la bourgeoisie. On ne voulait pas entendre parler de la guerre civile.

La voix de Lénine, après avoir retenti isolée, a sonné comme le tocsin pour tous ceux qui ont été opprimés par la guerre impérialiste, par le pouvoir du Capital, par le maudit esclavage capitaliste. Mais seule la victoire de la révolution prolétarienne en Russie permit de créer la IIIe Internationale, l’Internationale communiste. Dans la période précédente, le problème consistait à rallier, parmi les débris de la IIe Internationale au cri de : « Guerre à la guerre ! », tous les éléments honnêtes, hardis et dévoués à la révolution prolétarienne.

La Révolution

En février 1917, le régime tsariste, miné par la guerre et le chaos économique en Russie, s’effondra. La bourgeoisie libérale s’installa au pouvoir.

Lénine rentra en Russie en avril 1917 et se mit immédiatement à organiser le Parti en vue de la conquête du pouvoir.

Vers le début de juillet, le mécontentement s’était tellement accru que dans les deux capitales les ouvriers et une partie des soldats se levèrent contre le gouvernement, se ralliant autour des revendications  bolchéviks. Ce mouvement n’était pas encore assez fort pour renverser le gouvernement provisoire, mais il montra que le Parti bolchévik groupait des forces toujours croissantes, capables de conquérir le pouvoir.

Des poursuites furent commencées contre les bolchéviks en vue. Le gouvernement de Kérenski aurait sans doute supprimé Lénine, comme le gouvernement social-démocrate supprima Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. Il fut résolu que Lénine disparaîtrait de la circulation.

Emelianov, un ouvrier, l’emmena dans la banlieue ouest de Pétrograd, où il logeait. Vladimir Ilitch se réfugia dans le grenier d’un hangar à foin. C’est là qu’il demeura les premiers temps. Il fut obligé de se déguiser, de se couper les cheveux, de se raser la moustache et la barbe, en attendant d’avoir trouvé une demeure plus sûre.

Sur les bords du lac de Razliv, les réfugiés élevèrent une hutte, la couvrirent de foin ; suspendue à des pieux, une gamelle servait à faire le thé. Tel était l’état-major d’Ilitch ; de là il continua à diriger la révolution ; là, les camarades, avec d’extrêmes précautions venaient le voir. Presque chaque jour, il écrivait des articles. De cette lutte il dirigeait encore comme il l’avait fait de la prison, de l’étranger, comme il le fer plus tard de Smolny et du Kremlin.

Sans relâche, il demandait qu’on prépare l’insurrection. Alors qu’après les journées de juillet il jugeait impossible de prendre immédiatement le pouvoir, après l’affaire de Kornilov au contraire il se mit à presser les ouvriers, de peur qu’il ne fût trop tard.

Une partie des membres du Comité central ne croyait pas le moment venu et pensait que les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires pourraient venir à bout de la réaction. Tel était l’avis de Zinoviev et Kamenev qui se sont dressés ouvertement contre le Parti et ont été stigmatisés par Lénine comme « briseurs de grève ».

La clairvoyance de Lénine, la fermeté de Staline, ont fixé le moment précis qu’il était impossible de laisser passer. Lénine sut soumettre les hésitants à sa volonté de fer. Aussitôt arrivé en Russie, au commencement d’avril, il avait compris comment il fallait rassembler les forces : tout d’abord conquérir la majorité dans les Soviets, gagner les soldats sur le front et dans la capitale, attirer les paysans. En octobre, il vit que le peuple brûlait de sortir dans la rue et que si le prolétariat ne marchait pas à l’assaut et ne prenait pas la direction du mouvement, celui-ci lui échapperait et peut-être serait écrasé.

Chacun sait maintenant que Messieurs les généraux, complices des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires, étaient prêts à égorger les bolchéviks. On ne leur en lassa pas le temps.

Le 25 octobre ancien style (7 novembre) 1917 le pouvoir passa entre les mains des Soviets des députés ouvriers, paysans et soldats.

Vladimir Ilitch avait prévu que les principales difficultés surgiraient après la conquête du pouvoir, et elles surgirent en effet dès le premier jour.

Les gouvernements de l’Entente n’entendirent pas l’appel à la paix lancé par le gouvernement soviétique. Ils continuèrent la guerre jusqu’à la victoire finale. Devions-nous les imiter ? Si nous l’avions fait, nous n’aurions pu maintenir l’Etat soviétique, nous aurions été inévitablement entraînés à aider les capitalistes d’une coalition contre ceux de l’autre. Il fallait y sortir de la guerre impérialiste et c’est pourquoi les pourparlers s’ouvrirent avec les Allemands à Brest.

A ce propos il y eut dans notre Parti de grandes divergences.  Lorsque les Allemands nous présentèrent des exigences scandaleuses, l’indignation fut générale ; mais la lassitude du peuple était si grande que dans beaucoup d’endroits les paysans ne voulaient pas entendre parler de la guerre. Les communistes de « gauche » jugeaient que signer la paix serait trahir la révolution, se prononçaient contre la paix de Brest et prêchaient la guerre révolutionnaire ; mais comme cette paix avait également pour adversaires les socialistes-révolutionnaires de droite et de gauche, les menchéviks et les cadets, ils se trouvèrent en fort mauvaise compagnie.

Leur faute principale était de ne pas voir la lassitude des paysans, et en général de sous-estimer l’importance des paysans dans la révolution.

Trotski avait une position analogue : « Ni paix, ni guerre ».

Vladimir Ilitch considérait que nous perdions du temps et que les opposants fournissaient aux Allemands l’occasion d’augmenter encore leurs exigences. Il fallait signer quand même la paix.

L’histoire a montré que Lénine avait raison. Il était en minorité au début au Comité central du Parti. Staline l’a soutenu alors, comme il a toujours soutenu Lénine dans les situations difficiles.  Mieux que tous, Lénine voyait, comprenait et sentait les dispositions des paysans et de l’armée ; mieux que tous, il voyait la marche ultérieure de la révolution dans les autres pays. Voilà pourquoi il persuada les autres membres du Parti d’approuver la démobilisation de l’armée.

L’été de 1918 fut particulièrement difficile.  La famine serrait dans son étau les centres ouvriers. Le capitaliste Riabouchinski avait dit : « Nous les assommerons avec la main osseuse de la famine ». Nous ne cachions rien de notre situation et d’ailleurs à quoi cela aurait-il servi ? Au contraire, dans les moments les plus critiques, nous nous adressions aux ouvriers, Lénine donnait l’exemple : il ne pouvait se passer de paraître dans les grandes réunions, de parler aux ouvriers et aux paysans. Il estimait qu’il fallait leur exposer la vérité dans toute sa rigueur.

A cette époque, avaient lieu à Moscou les « meetings du vendredi ». Le 30 août, Lénine se rendit ainsi dans le quartier de Zamoskvoretché, à l’usine Mikhelson. Là l’attendait la socialiste-révolutionnaire Fanny Kaplan, dans le dessein de le tuer, lui dont le cœur battait pour tous les travailleurs et qui haïssait mortellement les ennemis des ouvriers et des paysans.  Elle était armée d’un browning, aux balles empoisonnées d’un toxique excessivement puissant, le curare, et tronquées afin de blesser plus dangereusement. Dans le cerveau étroit d’un membre de ce parti dégénéré et passé à la contre-révolution, avait germé cette idée monstrueuse : supprimer du nombre des vivants Lénine. Ivanov, l’ouvrier de l’usine Mikhelson, qui réussit à arrêter Fanny Kaplan, raconte ainsi l’attentat : 

            Lorsque, après le meeting, Lénine parut dans la cour de l’usine, deux femmes lui demandèrent de leur expliquer pourquoi on leur avait pris leur farine en chemin de fer. Ilitch se mit à leur parler tout en marchant, et elles l’accompagnèrent jusqu’à l’automobile.  Arrivé à sa voiture, Ilitch se retourna et déjà posait le pied sur le marchepied. A ce moment, comme il parlait, Kaplan qui l’avait précédé, tira quatre fois, à quatre pas de distance. >Ilitch perd connaissance et reste immobile. On le couche dans la voiture, qui part au Kremlin[31]

D’abord, Lénine fut en danger. Les poumons étaient perforés, une balle s’était logée dans la clavicule, une autre avait percé le cou et effleuré la moelle épinière. Les balles étaient empoisonnées et tronquées. Tout homme moins vigoureux aurait succombé à ces blessures.

Lénine échappa. Très prudent pendant la maladie, dès le danger passé, il exigea immédiatement qu’on le mette au courant des affaires, qu’on lui communique les choses les plus importantes, et bientôt il reprit son travail.

Il ne faudrait pas croire qu’après cet attentat Lénine ait pris des précautions particulières. Après comme avant, il fréquentait librement les réunions ouvrières, toutes sortes de congrès et de conférences ouvrières et paysannes.

Lénine, étant président du Conseil des commissaires du peuple, c’est-à-dire chef d’Etat, ne pouvait être président de l’Internationale communiste, mais tous le reconnaissaient comme en étant le guide et l’inspirateur. Il fallait voir avec quelle joie il apprenait les succès remportés par les ouvriers dans tel ou tel pays.  Il se réjouit de la victoire du prolétariat hongrois, espérant qu’il éviterait les fautes que nous n’avions pas su éviter nous-mêmes. Il espérait surtout dans la révolution en Allemagne, parce qu’il appréciait l’importance qu’aurait la conquête du pouvoir dans ce pays. Même là où la dictature du prolétariat semblait ajournée à un avenir plus ou moins lointain, il indiquait aux ouvriers la nécessité d’aller aux masses, de réaliser le front unique, moyen le plus sûr d’arriver au but plus facilement, plus vite et avec moins de souffrances. Il indiquait que dans les pays arriérés, où le paysan a encore une grande importance, il faut créer des Soviets, préconiser la dictature du prolétariat et des paysans, le gouvernement ouvrier et paysan. Au IVe congrès de l’Internationale communiste, il montra comment l’avant-garde ouvrière des autres pays doit tirer profit de l’expérience russe. Il enseigna à l’Internationale communiste à créer dans chaque pays, ne fût-ce qu’un petit groupe compact, un Parti communiste ; il rallia, parmi les ouvriers inclinant du côté de l’anarchisme et du syndicalisme, des camarades dévoués à la révolution prolétarienne et capables de corriger leurs erreurs au cours de la lutte.

Ayant donné toute sa vie à la lutte pour le socialisme, Lénine se consuma à la tâche. La prison, l’exil, la misère, la lutte incessante contre les adversaires du bolchévisme et contre les ennemis du prolétariat, la blessure et la maladie, tout cela a miné fatalement la robuste santé de Lénine. Il mourut à l’âge de 54 ans, le 21 janvier 1924.

Dans le monde entier, sa mort a causé une douleur sincère et a arraché des larmes à des millions de travailleurs Le manifeste du Comité exécutif annonçant sa mort l’appelle à juste titre le chef immortel de l’Internationale communiste et du premier Etat prolétarien.

STALINE

Staline est le meilleur disciple et continuateur de Lénine. Tout au long de sa vie politique, Staline ne s’est jamais séparé de Lénine. Staline fut celui qui appliqua les enseignements de

Lénine. Staline fut celui qui appliqua les enseignements de Lénine de la manière la plus conséquente et la plus ferme.

En formant le Parti bolchévik dans la lutte acharnée contre le menchévisme, Lénine choisit soigneusement des gens qui puissent se consacrer entièrement à la cause de la révolution prolétarienne. Sous le tsarisme, il était extrêmement important de donner avant tout une épine dorsale solide au Parti. Lénine forma un type spécial de gens qu’il appela les « révolutionnaires professionnels », c’est-à-dire des gens pour qui le travail révolutionnaire est la seule occupation.

Lénine lui-même fut avant tout un révolutionnaire professionnel. Staline, durant toute sa vie, le fut également. Dès sa jeunesse, Staline consacre toutes ses forces à la formation du Parti, devient ensuite un des disciples et collaborateurs les plus proches de Lénine. Staline resta toujours fidèle à la révolution et à Lénine non seulement pendant la victoire, mais aussi dans les moments difficiles de la défaite. Staline fut impitoyable envers toute tentative de déformer la doctrine léniniste, il a gardé le Parti comme la prunelle de ses yeux.

Staline approfondit et développa les enseignements de Lénine sur la dictature du prolétariat et en particulier sur la lutte de classe dans les conditions de la dictature du prolétariat.

Staline approfondit et développa la doctrine de Lénine de la construction du socialisme dans un seul pays, en réfutant les fausses conceptions trotskistes qui niaient cet enseignement de Lénine.

Sous la direction de Staline, le Parti a résolu la question des voies concrètes de la collectivisation intégrale du village et de la liquidation de la dernière classe capitalisteles koulaks.  Ainsi fut solutionnée la tâche la plus importante et la plus difficile de la révolution prolétarienne.

Les œuvres de Staline rendent la théorie accessible aux masses, Staline traduit toujours les principes théoriques du marxisme-léninisme dans la langue des actions pratiques. Il mène ainsi à la lutte des millions d’ouvriers et de paysans.

Toutes les questions théoriques du rétablissement de l’économie nationale, de l’édification socialiste et, en liaison avec cela, de la lutte contre le trotskisme, contre l’opposition de Zinoviev, contre l’opportunisme de droite et les exagérations de gauche, furent élucidées par Staline. Ses discours et ses écrits ont toujours été et sont encore le guide pour l’action de millions de travailleurs soviétiques.  C’est ainsi que le mot d’ordre de l’industrialisation est devenu le stimulant puissant des masses, leur a insufflé l’enthousiasme créateur, concrétisé dans l’émulation socialiste, dans le travail de choc, etc.

L’industrialisation servit de levier puissant à la reconstruction socialiste du village, au développement de la collectivisation intégrale, à la liquidation du koulak en tant que classe. Le discours de Staline à la conférence des marxistes agrariens (1929) joua un rôle important non seulement dans la réalisation de cette politique, mais dans le travail ultérieur sur la question agraire. C’est le modèle d’analyse théorique de l’une des questions les plus difficiles et les plus complexes de la révolution. Il fut un jalon décisif dans la reconstruction socialiste du village.

Staline continue l’œuvre de Lénine dans une situation différente et nouvelle. Sous sa direction, le prolétariat a terminé la période de restauration de l’économie nationale et a ensuite développé le vaste programme de sa reconstruction complète

Sous la direction de Staline a été créée en U.R.S.S. une base solide de l’économie socialiste. Les champs socialistes occupent plus de 80% de la surface ensemencée du pays.  L’ U.R.S.S. marche victorieusement vers l’édification de la société socialiste sans classes.

A la mort de Lénine, le Parti bolchévik comptait environ 500.000 membres. En 1933, il a plus de 3 millions de membres et de candidats. Cette croissance du Parti est le résultat de la confiance grandissante des masses, c’est la confirmation de la politique de Lénine, continuée par Staline.

Staline fut l’adversaire le plus acharné de tous ceux qui essayaient de pousser sous n’importe quelle forme le Parti hors de la voie léniniste. Quand, après la mort de Lénine, Trotski attaqua violemment la ligne bolchévik du P.C. de l’U.R.S.S., essayant d’entraîner tout le Parti dans le marais du menchévisme, Staline mena une lutte impitoyable contre le trotskisme.

Quand, en 1926, Zinoviev et Kaménev passèrent dans le camp de Trotski, Staline décupla la lutte contre le trotskisme et ses nouveaux alliés. Déjà à ce moment Staline mit à nu l’essence menchévik du trotskisme et prédit que Trotski allait passer dans le camp de la contre-révolution. Et en vérité, au bout de quelque temps, Trotski devint l’un des agitateurs favoris de la bourgeoisie contre le pouvoir soviétique, l’un des collaborateurs permanents de la presse bourgeoise.

En 1928-1929, Staline dut repousser les attaques des opportunistes de droite dirigés par Boukharine, Rykov et Tomski. Défendant les bases de la politique léniniste du Parti contre les falsifications opportunistes, Staline mobilisa le Parti et la classe ouvrière contre la tentative d’entraîner le Parti hors de la voie léniniste. Sous sa ferme direction, le Parti a écrasé l’opposition de droite, comme il avait écrasé avant celle de Trotski et de Zinoviev.

C’est dans cette lutte contre le trotskisme et l’opposition de droite que sont apparues la volonté de fer, l’énergie révolutionnaire et la fermeté de Staline.

L’intrépidité et l’esprit de suite avec lesquels Staline a lutté contre les déformations des volontés de Lénine, firent de lui le chef incontesté du Parti bolchévik et du prolétariat mondial, jouissant de la confiance, du soutien et de l’affection de tous.  Cette fermeté dans la lutte contre les déformations du léninisme firent de Staline la cible pour les attaques les plus furieuses des ennemis de classe. Les coups contre le Parti et le bolchévisme ont toujours été et sont encore dirigés contre Staline, comme, en son temps, ils furent dirigés contre Lénine. Les ennemis du bolchévisme savent que Staline ne leur laisse aucun espoir de faire abandonner par le Parti les principes du léninisme.  Les ennemis du Parti attaquèrent et attaquent Staline, car ils voient que l’héritage léniniste se trouve en bonnes mains.

Staline a hérité de Lénine la capacité de lier les tâches politiques et théoriques au travail pratique, la capacité de transformer les idées en actes. Staline est un excellent organisateur.  Ce n’est pas par hasard que Lénine, dans une période difficile de la vie du  Parti, en 1922, proposa Staline comme secrétaire général du Parti.

Le nom de Staline est maintenant connu dans toutes les parties du monde. Il est non seulement le chef de la classe ouvrière de l’U.R.S.S., mais celui du prolétariat mondial.

L’influence de Staline sur le travail des Partis communistes s’exprime dans chaque résolution importante adoptée par l’Internationale communiste. Staline travaille sans désemparer à la bolchévisation des Partis communistes de tous les pays, leur enseigne l’art de lutter pour la conquête des masses, de combattre la social-démocratie et le trotskisme, de surmonter les déviations opportunistes dans leurs rangs.

Il est en même temps le modèle de la discipline. Il place au-dessus de tout les intérêts du Parti. Il en est le chef, mais en même temps l’exécuteur discipliné de sa volonté et de ses directives. Cette attitude de Staline découle de sa conception léniniste du Parti.

Le Parti, dit-il, est une partie de la classe, existant pour la classe, et non pour lui-même. Il n’est pas un révolutionnaire prolétarien, surtout s’il est à la direction du Parti, qui ne puisse voir qu’il remplit son devoir révolutionnaire seulement s’il se soumet entièrement aux intérêts du Parti, aux intérêts de la classe.

MARCEL  CACHIN

LA VIE DE STALINE

Staline est né en 1879 à Gori, près de Tiflis, en Géorgie.

Il va à l’école primaire jusqu’à 14 ans. Puis il est envoyé au séminaire de Tiflis où il reste jusqu’à 18 ans. Pendant son séjour au séminaire, il est attiré par les études scientifiques et sociologiques qui le détachent rapidement des dogmes orthodoxes.  Il manifeste des idées telles qu’il est chassé du séminaire.

Il se tourne immédiatement, lui, fils d’ouvriers, vers ceux de sa classe. Il se lie à l’organisation social-démocrate de Tiflis où, comme aujourd’hui encore, les militants cheminots jouent le rôle le plus important.

A dix-neuf ans, il est inscrit sur les listes du Parti.

A 21 ans, son travail de propagande a déjà été si remarqué qu’il est désigné comme l’un des dirigeants les plus en vue du comité de Tiflis. L’année suivante, l’Okhrana[32] le recherche pour l’emprisonner en raison de son activité parmi les prolétaires. Il est contraint de passer à l’illégalité ; on peut dire que sa vie illégale, commencée à 22 ans, ne se termine qu’en 1917, au moment de la révolution de mars. C’est dire que pendant 16 ans, traqué sans cesse par la police du tszar, il a vécu en marge des lois et de la société. C’est dire aussi à quelle rude école révolutionnaire notre camarade a acquis sa riche expérience.

Dans l’illégalité, il poursuit sa tâche d’organisateur prolétarien. Il va à travers toute la Transcaucasie, de Batoum à Bakou ; fonde des groupes ouvriers, participe à des grèves, organise des manifestations. Un jour –il a 23 ans- il est pris. Condamné à 8 mois de prison et exilé pour trois ans en Sibérie.

Un mois après être arrivé en Sibérie, il s’enfuit et retourne à Tiflis. Il est aisé de s’imaginer au milieu de quelles difficultés ! Revenu au milieu des social-démocrates d’alors (nous sommes en 1904), il trouve le Parti divisé entre menchéviks et léninistes. Il prend parti sans hésiter pour les bolchéviks. Il commence sa campagne contre les menchéviks et l’opportunisme qu’il mènera sans arrêt et qu’il poursuit encore aujourd’hui.

En 1905, Staline a 26 ans ; il est délégué par les bolchéviks transcaucasiens au congrès bolchévik panrusse qui se tient en Finlande. Là, il connaît Lénine pour la première fois. Il ne quittera plus le maître et le chef du Parti dont il est resté, sans un moment de défaillance, l’ami fidèle et le disciple le plus sûr.

Il retourne en Transcaucasie où il dirige des journaux révolutionnaires, où il poursuit une propagande acharnée contre le tsarisme, le capitalisme et l’opportunisme petit-bourgeois des social-démocrates menchéviks. C’est surtout à Bakou, au milieu des ouvriers des puits de pétrole, que s’exerce son apostolat. C’est Staline qui a fait de Bakou le centre bolchévik puissant qu’il est resté jusqu’à ce jour, l’une des citadelles les plus imprenables de la Révolution soviétique.

La police qui le persécute et à laquelle il échappe pendant des années finit par le saisir à Bakou. Il est à nouveau condamné à la prison. Il entre à la maison d’arrêt de Bakou, vieille masure que conserve dans la ville neuve le Soviet, comme un souvenir. Puis il est expédié pour la deuxième fois en Sibérie. Il a 30 ans.

Il y reste deux ans, après quoi il s’enfuit à nouveau et se rend à Pétrograd, sur l’ordre du Comité central du Parti. A peine arrivé à Pétrograd, il est arrêté, envoyé à Vologda d’où il échappe à nouveau. Il revient à Pétrograd en 1911. Il est élu membre du Comité central du Parti, rédige les journaux et collabore à la création de la Pravda. Il dirige la fraction bolchévik de la Douma et édite une étude d’une extrême importance : le Marxisme et la question nationale.

Une fois de plus il tombe entre les mains des policiers, il a 34 ans, il est encore exilé en S (il y a été envoyé à quatre reprises), il y est surveillé de près et passe 4 ans dans un misérable village lointain, Koureïka.

La révolution de mars 1917 le libère. Il rentre à Pétrograd où il participe activement à la direction du Parti bolchévik, comme membre du Comité central. Il a 38 ans. Il va désormais donner toute sa mesure.

Les 17 années qui nous séparent de 1917 ont été parmi les plus remplies de l’Histoire. Le nom de Staline, associé à tout jamais à celui de Lénine, restera attaché à cette période historique qu’ils ont tous deux marquée de leur empreinte vigoureuse.

Staline était rentré en mars à Pétrograd. Lénine y arriva en avril. L’union intime de ces deux marxistes à la volonté indomptable ne se démentit pas un seul jour jusqu’à la mort de Lénine.  C’est cette union intime qui assura pour une large part le succès définitif de la révolution soviétique. C’est son maintien par delà la mort qui, depuis la disparition du grand chef, inspira Staline en tous ses actes et lui permit de développer magnifiquement l’héritage redoutable qu’il avait reçu de Lénine.

Depuis mars-avril 1917 jusqu’en octobre, se prépare par un travail intense la révolution bolchévik. Durant ces 8 mois, Staline se tient près de Lénine, en absolue concordance d’idées. En fait, au moment où (après la manifestation de juillet) Lénine est obligé de mener la vie illégale, c’est Staline qui dirige à la fois les journaux du Parti, son congrès semi-légal et la Commission des Cinq chargée de préparer l’insurrection.

Il ne suffisait plus maintenant de constituer des groupements ouvriers, de faire de la propagande, d’éduquer les cadres du Parti. Le moment du soulèvement était venu. Il fallait entrer dans l’action, choisir l’heure de l’insurrection armée, armer les combattants, formuler des mots d’ordre clairs, dresser des plans d’attaque et veiller à la juste application de la tactique. Lénine et Staline, en plein accord de pensée, dirigent l’action d’Octobre et la mènent à la victoire.

De militants traqués de cercles restreints, les voilà devenus les dirigeants d’un gouvernement. De nouveaux et immenses devoirs les attendent. Le pouvoir qu’ils ont établi est entouré d’ennemis innombrables à l’intérieur et à l’extérieur. Ils sont souvent menacés de la chute. S’ils faiblissent ou s’ils se trompent dans leurs perspectives, ils sont perdus et ils perdent la révolution. Mais ils ne se trompent pas ! Ils ne perdent pas de vue leurs objectifs finals. Ils voient clair dans le jeu des ennemis qui les guettent. Ils écartent les hésitants, les pusillanimes, tous les contre-révolutionnaires masqués ou cyniques. L’étoile du marxisme les guide, et ils sont appuyés par l’esprit de classe du prolétariat dans lequel ils ont une confiance illimitée et justifiée par tous les événements.

Depuis 1917 jusqu’en 1920, la guerre civile, la guerre extérieure ravagent toutes les régions de l’Union soviétique. Il s’agit de débarrasser l’Union des armées de l’impérialisme. Il s’agit de chasser tous les blancs, payés par Lloyd George, Wilson et Clemenceau. Il s’agit de briser l’influence démoralisante et traîtresse des menchéviks et celle des conciliateurs à l’intérieur même du Parti.

Tâches gigantesques que les deux chefs intimement unis savent encore mener à leur terme victorieux.

C’est alors que Staline fournit sa mesure. C’est alors qu’il se révèle administrateur admirable. Il faut lire les récits que firent (il y a 5 ans) les camarades Manouilski et Kaganovitch de l’activité de Staline pendant les années terribles de 1918-1919. Le pouvoir des Soviets fut alors souvent mis à deux doigts de sa perte. Mais quand, sur un point du front immense, le danger était parvenu à son comble, Lénine disait : « Il n’y a qu’un homme qui peut sauver la situation, c’est Staline, qu’il faut envoyer sur place, dans l’armée, avec pleins pouvoirs ».

Notre camarade fut ainsi chargé sur le front du Nord, sur le front du Sud, aux pires époques, d’aller rétablir des situations périlleuses. Il fit preuve en toute occasion d’un esprit de décision, de fermeté, d’intransigeance, de sang-froid, de clairvoyance qui sauvèrent la Révolution du péril. Mais ce n’était pas assez de manifester ces qualités volontaires.  Il était nécessaire de prendre parti à propos de tactique militaire.  Il fallait préparer des plans d’attaque et de défense. Staline était membre du Conseil de guerre révolutionnaire. Il avait affaire à des techniciens militaires souvent paresseux, défaillants ou même félons. Son rôle était de les éliminer, de les remplacer par des hommes sûrs. Bien plus, il importait de diriger militairement des opérations jusque-là manquées ou compromises. Il fallait prendre des mesures immédiates et des responsabilités techniques. Le Comité central et Lénine font pleine confiance aux qualités éminentes d’organisateur, d’intendant des armées et de chef militaire de Staline.  Staline est ainsi au centre des combats qui mirent fin aux aventures des blancs, à celle de Wrangel et à l’équipée de Pilsudski en Ukraine en 1920.

En 1920, la Révolution soviétique est débarrassée des armées intérieures et extérieures qui avaient tenté d’abattre, les armes à la main, le gouvernement des ouvriers et des paysans, la dictature du prolétariat. Tous les ennemis sont en pleine débâcle. Reste à reconstruire les régions dévastées par 6 ans de guerre civile et de guerre impérialiste. Ici encore Staline joue un rôle de premier plan, aux côtés de Lénine, jusqu’à la disparition du dirigeant plein de génie, ensuite comme chef incontesté de la politique soviétique après la mort du fondateur du bolchévisme.

Au cours des premières années de la Révolution, Staline avait été appelé au Commissariat des minorités nationales, et en même temps à l’Inspection ouvrière et paysanne. Il abandonna ces postes en 1923 pour devenir secrétaire du Comité central du Parti communiste. Il occupe depuis 11 ans cette fonction exclusivement. Il ne fait pas partie du gouvernement des commissaires du peuple. Cet effacement volontaire marque à lui seul l’importance décisive du rôle du Parti et de son secrétariat, et la signification en est assez claire.

Lénine avait tracé les grandes lignes de la reconstruction des Républiques socialistes. Malheureusement, écrasé par son immense labeur, il mourut trop tôt pour veiller lui-même à la direction de la grande œuvre. Par bonheur, Staline était là. De dix ans plus jeune que le Maître, tout imbu de son exemple, dévoué jusqu’à la limite de ses forces à la réalisation du socialisme, riche des enseignements léninistes et de sa propre expérience de trente années.

Il fallait donner à l’U.R.S.S. une constitution politique et administrative.

Il fallait procéder à l’industrialisation des cent nations fédérées.

Il fallait faire de ces nations à petite agriculture arriérée, un pays de grande agriculture collective et mécanisée.

Il fallait mettre un pays lettré, cultivé, couvert d’écoles à la place d’un pays inculte et moyenâgeux.

Il fallait assurer la paix au milieu des impérialismes de plus en plus décidés à la guerre.

Il y a dix ans, de pareilles tâches semblaient irréalisables et les sarcasmes ne manquaient pas de s’élever autour des présomptueux qui formulaient un tel programme. Mais maintenant, après ces dix brèves années, les sceptiques et les ennemis sont convaincus. Le programme se réalise au-delà de toute espérance. Dans tous les pays du monde, même les plus hostiles, la reconnaissance des progrès en U.R.S.S. est d’autant plus générale que les dirigeants des nations capitalistes sont en proie aux difficultés les plus insurmontables. Au début de l’année 1934, dans son rapport au XVIIe congrès du Parti bolchévik, Staline a fait le bilan du capitalisme et du socialisme. Son discours objectif est irréfutable. L’expérience est concluante en faveur du socialisme.

Staline est trop modeste pour avoir insisté sur son rôle historique à lui, qui eut la mission de mettre en application les doctrines et la tactique de ses précurseurs illustres. Il nous appartient de mettre en lumière le rôle sans parallèle du chef de l’Internationale communiste.

C’est lui qui a affirmé la possibilité de bâtir le socialisme en Union soviétique, alors qu’elle était enveloppée d’une nuée d’ennemis impérialistes.

C’est lui qui a surveillé dans chaque détail pratique la réalisation des directives de Lénine sur l’industrialisation de l’U.R.S.S.

C’est lui qui a décidé et choisi l’heure de la collectivisation des campagnes soviétiques.

C’est lui qui avait fourni dès le début de la Révolution les solutions exactes pour le problème des minorités nationales qu’aucun autre pays au monde n’a su résoudre. Il n’y a qu’en U.R.S.S. que les minorités nationales aient reçu un statut humain et définitif, tandis qu’ailleurs elles sont soumises partout au joug de majorités impérialistes contre lesquelles elles s’insurgent.

C’est lui qui a vu clair dans les problèmes infiniment complexes de la politique extérieure. Aujourd’hui, grâce à lui, l’Union soviétique a conquis dans le monde un prestige considérable. Et en même temps, les prolétaires des nations impérialistes et les esclaves des colonies et des semi-colonies sont en possession d’un programme de libération et de mots d’ordre simples, clairs, d’une logique et d’une vérité démontrées par l’expérience.

C’est lui qui a défendu les positions théoriques et tactiques de Marx et de Lénine, il a démasqué avec une intelligence aiguë et écrasé grâce à une fermeté inébranlable les déviations innombrables qui renaissent périodiquement.

En raison de ces mérites, l’hommage de millions de prolétaires et de paysans du monde entier monte vers Staline, vers l’homme qui est le plus sûr pilote de l’humanité laborieuse. Il a recueilli l’héritage de Lénine ; il n’en a pas été écrasé : au contraire, il s’est grandi aux yeux de tous, amis et ennemis. Cet homme simple, modeste, vit comme un prolétaire, sans aucun faste, sans aucune vanité, sans souci pour sa personne, tout entier à sa passion brûlante du salut des travailleurs.

Tous les communistes sont fiers de leur guide irréprochable, à l’esprit clair, au coeur d’acier.

Ils souhaitent que sa main ferme tienne encore longtemps le gouvernail.

QUESTIONS  DE  CONTRÔLE

  1. Qu’entend-on par socialisme utopique et par socialisme scientifique ?
  2. Quelles furent les organisations internationales que dirigèrent Marx et Engels ?
  3. Qu’est-ce que le léninisme ?.
  4. Dans quelles questions Lénine a-t-il développé le marxisme ?
  5. Dans quelles questions Staline a-t-il développé le marxisme-léninisme ?
  6. Qu’est-ce que vous savez de la lutte de Lénine et de Staline contre l’opportunisme ?

[1]  Fr. Engels : « Karl Marx » dans Karl Marx, homme, penseur et révolutionnaire, p. 20-21, Editions Sociales Internationales, Paris, 1928.

[2]  F. Idem, p.22

[3]  K. Marx et Engels : Critiques des programmes de Gotha et d’Erfurt, Bureau d’Editions, Paris, 1933, p. 33.

[4] Lettre de K. Marx à Joseph Wedemeyer dans Etudes philosophiques, p. 145, Editions Sociales Internationales, Paris, 1935.

[5] Extrait de Karl Marx et sa doctrine, Bureau d’Editions, Paris, 1932.

[6] Bruno Bauer (1809-1882). Philosophe allemand, un des représentants de l’hégélianisme de gauche.

[7] Georges Hegel (1770-1831). Le philosophe idéaliste le plus considérable d’Allemagne. Considérable surtout par la méthode dialectique qu’il a conçue sous une forme idéaliste, mais juste au fond. C’est Marx qui, le premier, a retourné la dialectique de Hegel et l’a mise réellement sur ses pieds en la posant sur le terrain du matérialisme.

[8] Ludwig Feuerbach (1804-1872). Philosophe matérialiste allemand. Il se dégagea de l’hégélianisme et passa au matérialisme. Sa philosophie a formé le chaînon intermédiaire entre la philosophie de Hegel et celle de Marx. 

[9] Engels : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique, dans Etudes philosophiques, p. 20.

[10] Lénine : Œuvres complètes, tome XVIII, édition russe.

[11] Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865). Socialiste utopiste, idéologue de la petite bourgeoisie, un des fondateurs de l’anarchisme. Il voulait enrayer les maux de la société capitaliste par le mutuellisme, le crédit gratuit, et la création de banques d’échange. Les idées de Proudhon eurent d’assez grands échos parmi les ouvriers-artisans français. La plupart des membres français de la Ire Internationale étaient sous l’influence du proudhonisme.

[12] La Ligue des communistes, fondée en 1847, fut la première organisation révolutionnaire internationale. Elle prit une grande part à la révolution de 1848-1849, en Allemagne. Après la défaite de la révolution, une scission se produisit dans la Ligue.  Elle fut officiellement dissoute sur l’initiative de Marx en 1852.

[13] Karl Vogt (1817-1895), naturaliste allemand réputé, vulgarisateur du matérialisme et homme politique, avait écrit, en 1859, un ouvrage plein d’injures contre Marx où il déclarait que Marx est le chef d’une bande de maîtres-chanteurs. Marx répondit par sa réplique magistrale, Herr Vogt (1860), où il démolit les accusations de celui-ci et démasque en même temps l’auteur comme un suppôt de Bonaparte et un intrigant politique. Le fait a été confirmé officiellement par la découverte pendant la Commune d’un document émanant de la police parisienne.

[14] V. I. Lénine : Karl Marx et sa doctrine.  Bureau d’Editions, Paris, 1932.

[15] Allusion à l’Adresse inaugurale de l’Association internationale des travailleurs, Bureau d’Editions, Paris, 1933.

[16] Giuseppe Mazzini (1805-1872). Homme politique italien de tendance radicale. Il poursuivait le but de

 l’unification politique de l’Italie sur des bases républicaines.

[17] Michel Bakounine (1814-1876). Révolutionnaire anarchiste russe. Il participa à l’activité de la Ire Internationale, au sein de laquelle il s’efforça d’organiser une ligue secrète des adhérents de sa tendance ; la Ligue prit une assez grande extension dans les pays latins, et Bakounine devint en fait le chef du mouvement anarchiste en Europe. Pour son activité désorganisatrice fut exclu de l’Internationale, en 1872, sur les instances de Marx.

[18] Ferdinand Lassalle (1825-1864). Un des principaux chefs du mouvement ouvrier allemand. Bien qu’influencé par Marx, il se séparait de lui dans de nombreuses questions. Marx et Engels critiquèrent les idées de Lassalle dans leur ouvrage Critique du programme de Gotha.

[19] La Sainte Famille, ou Critique de la critique critique. Contre Bruno Bauer et consorts, parue en 1844. A été éditée en français par Costes, Paris.

[20] Sa Critique de l’économie politique (1859) ; il en existe deux traductions françaises, l’une de Léon Rémy (Paris, 1899) ; l’autre de Laura Lafargue (Paris, 1909).

[21] Edité en français par Costes, Paris.

[22] C’est la révolution qui fit rentrer Marx et Engels en Allemagne (mars 1848). Entre temps, Marx avait été expulsé de Belgique, comme il avait, trois ans plus tôt, été expulsé de Belgique, comme il avait, trois ans plus tôt, été expulsé de France (il le sera pour la seconde fois en 1849). Le procès des communistes de Cologne est postérieur de quatre ans (1852).

[23] A cause de s chevelure très noire. (Mohr signifie Maure.)

[24] Wilhelm Wolff (1809-1864). « Le polémiste ardent et persécuté,  qui avait dévoilé jadis la misère des tisserands silésiens et dit les causes de leur révolte » (Andler). Wolff signifie loup (Lupus).

[25] A paru récemment chez Costes, en 3 volumes (trad. Bracke), sous le titre : M.E. Dühring bouleverse la science. (Anti-Dühring.)

[26] Friedrich Engels est mort à Londres le 5 août 1895.

[27] J. Staline : Lénine, p.16, Bureau d’Editions, Paris, 1934

[28] J. Staline : Lénine, p.17

[29] J. Staline : le Léninisme théorique et pratique, p.80 Bureau d’Editions, Paris, 1933.

[30] Extraits d’une biographie de Lénine, écrite par E. Iaroslavski en 1924.

[31] Souvenirs d’Ivanov, témoin de l’attentat.

[32] Okhrana : police secrète du temps des tsars

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