Les étapes du Bolchévisme

  1. Les années de préparation de la première révolution

Naissance et formation du bolchévisme

C’est dans les cercles révolutionnaires fondés par Lénine et ses compagnons d’armes dans la dernière décade du XIXe siècle qu’il faut chercher les racines historiques du bolchévisme.

Lénine avait étudié avec beaucoup d’attention les œuvres de Marx et d’Engels et il prit une part active au travail et à la création des cercles révolutionnaires marxistes. Dans ses articles, ses brochures et par tracts, Lénine menait une lutte acharnée contre les courants politiques qui détournaient les ouvriers de la lutte révolutionnaire contre le tsarisme.

L’un de ces courants était le populisme. Lénine dirigea contre lui ses premiers coups. Le populisme rejetait le marxisme, le déclarant inapplicable à la Russie. Celle-ci était soi-disant un pays d’un type particulier, à part, ayant un caractère agricole, que le capitalisme n’avait pas touché. Les populistes disaient que le marxisme n’était valable que pour les pays ayant un capitalisme développé ». Ils niaient le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire.

En 1883, un, groupe de marxistes russes (Plékhanov, Alrod, Zassoulitch) avait fondé en Suisse la première association marxiste révolutionnaire russe, le groupe de l’ « Emancipation du travail ».

Lénine et les cercles marxistes qu’il influençait critiquèrent énergiquement le populisme. Lénine démontrait que le prolétariat devait jouer le rôle dirigeant dans la révolution, car il est la seule classe pouvant lutter jusqu’au bout contre le tsarisme et tous les exploiteurs. Les cercles révolutionnaires fondés par Lénine furent les premiers germes du grand parti prolétarien.

Après avoir été pendant des années un mouvement révolutionnaire, le populisme dégénéra vers 1890, devint une secte, sans liaison avec les masses.

Lénine eut également à combattre les tentatives de certains groupes d’intellectuels bourgeois de déformer le marxisme, en l’ « adaptant » aux intérêts de la bourgeoisie. La phraséologie marxiste ne servait qu’à couvrir des conceptions bourgeoises. Ces intellectuels (Strouvé, Tougan-Baranovski) rejetaient la révolution comme moyen de lutte contre le tsarisme et préconisaient exclusive ment des méthodes légales, dans le cadre des lois tsaristes. Cette tendance est connue dans l’histoire du mouvement ouvrier sous le nom de marxisme légal. Dans une série d’articles et de brochures, Lénine en a exposé le contenu bourgeois.

En 1895, Lénine fonda « l’Union de combat pour l’émancipation de la classe ouvrière », qui réunissait les cercles marxistes de tous les quartiers de Saint-Petersbourg. La même année, il fut arrêté. Mais, soit en prison, soit pendant l’exil, il n’en continua pas moins à travailler à l’organisation d’un parti.

Son activité prépara le terrain pour un congrès des organisations marxistes et la formation d’un parti ouvrier. Le congrès eut lieu à Minsk en 1898. Il ne réussit pas à fonder le parti. Les délégués au congrès furent arrêtés.

A son retour de l’exil, Lénine partit aussitôt à l’étranger, d’où il dirigea le travail pour la création du Parti.

Le journal l’Iskra joua un grand rôle dans le travail d’organisation. Il était publié à l’étranger et Lénine en était l’un des principaux rédacteurs. La rédaction de l’ Iskra prépara le deuxième congrès du Parti.  C’est dans ses numéros que furent élaborés et définis le programme et les principes d’organisation et de tactique du Parti. C’est autour de l’Iskra que se rassemblèrent et s’éduquèrent les éléments prolétariens les plus révolutionnaires et les plus conséquents.

L’un des premiers parmi ceux-là était Staline. Dès 1897, il commença à militer activement dans les organisations social-démocrates de Transcaucasie.  En 1898, il était le dirigeant du cercle des ouvriers de Tiflis. Il établit des liaisons solides avec  les grandes masses ouvrières et fut à la tête de leurs luttes à Tiflis et à Batoum (1902). Ce fut Staline qui organisa le noyau bolchévik de Bakou qui, depuis, est resté l’une des organisations les plus fortes de toute la Russie.

Le IIe congrès avait été précédé d’une violente lutte entre l’aile révolutionnaire et l’aile opportuniste du Parti. C’était la lutte contre le courant opportuniste connu sous le nom d’ « économisme ». Celui-ci limitait les objectifs de la classe ouvrière à la lutte économique et détournait les travailleurs de la lutte politique. Il disait à l’ouvrier : « Lutte donc pour avoir une petite augmentation de salaire, mais ne te mêle pas de faire de la politique ; c’est l’affaire des hommes instruits et des couchers avancées de la bourgeoisie, et non celle des ouvriers ». Les « économistes » étaient d’avis que la classe ouvrière n’était intéressée qu’à l’amélioration de sa situation matérielle et non à modifier le régime politique de l’Etat ou à lutter pour le socialisme.

Ils ne comprenaient pas que, pour améliorer sérieusement la situation des travailleurs, il n’y avait pas d’autre moyen que le renversement de l’absolutisme tsariste et la suppression de l’exploitation capitaliste. Pour atteindre ce but, la classe ouvrière devait être organisée du point de vue politique, elle devait avoir son parti politique. Mais les économistes étaient adversaires de toute organisation politique du prolétariat, ils étaient les représentants de l’idée d’un mouvement ouvrier se développant spontanément. Lénine et le journal l’ Iskra (l’Etincelle) combattaient vigoureusement cette théorie de la spontanéité en lui opposant la théorie prolétarienne de la lutte consciente et organisée contre l’absolutisme et la bourgeoisie, sous la direction du parti prolétarien.

Mais comme les économistes étaient contre la lutte politique, ils étaient aussi contre la fondation d’un parti. Quant à Lénine, il mettait au-dessus de tout et avant toutes choses la tâche de la fondation du parti de la classe ouvrière.

L’économisme était le prolongement, dans la situation particulière de la Russie, de l’opportunisme qui se développait dans l’Europe occidentale et qui avait trouvé en Bernstein son théoricien et en Millerand son praticien le moins dissimulé (collaboration de classe avec la bourgeoisie, participation à un gouvernement bourgeois).

La lutte menée par Lénine contre l’économisme eut une importance très grande pour toute la lutte ultérieure contre les menchéviks et les autres opportunistes (liquidateurs, etc.) qui se firent les avocats de la spontanéité et les adversaires des principes bolchéviks d’organisation. En combattant l’économisme au nom du marxisme révolutionnaire, Lénine ne dénonçait pas seulement l’opportunisme russe, il luttait, après cela même temps, contre l’opportunisme dans tout le mouvement ouvrier international.

Entre bolchéviks et menchéviks, en 1903, la scission était inévitable car, en réalité, la lutte se déroulait autour de cette question : le Parti devait-il  être prolétarien ou petit-bourgeois ? Les désaccords entre bolchéviks et menchéviks touchaient toutes les questions fondamentales de la politique du Parti.  C’était une lutte entre la politique du prolétariat révolutionnaire et celle de la petite bourgeoisie.

Les désaccords atteignirent leur maximum d’acuité lors des débats sur le premier paragraphe des statuts du Parti.

Ce paragraphe définissait la qualité de membre du Parti. Le chef des menchéviks, Martov, proposait que fussent considérés comme membres du Parti tous ceux qui paieraient des cotisations, accepteraient son programme et collaboreraient à son action. Quant à Lénine, il insistait pour qu’on ne considérât comme membres du Parti que ceux qui accepteraient son programme, paieraient des cotisations et participeraient personnellement au travail d’une des organisations du Parti.

Quel était le sens de ce désaccord ?

Aujourd’hui, tout membre du Parti comprend qu’on ne peut être membre du Parti si l’on n’appartient pas à une cellule et si l’on ne remplit pas une tâche du Parti. Mais, à l’époque, il y a trente ans, quand le Parti commençait seulement à se former, Lénine était obligé de lutter pour faire admettre cette forme d’organisation.

Il proposa un programme net et clair, définissant la structure que doit avoir un parti résolu à diriger la classe ouvrière dans la lutte politique.

Lénine combattit Martov parce qu’il se rendait clairement compte qu’il ne pouvait pas y avoir de membres du Parti en marge de l’organisation. Car il ne saurait alors être question de discipline ni de direction centralisée ; l’unité serait impossible au sein du Parti.

Mais c’était précisément cela – direction centralisée et discipline – que Martov et ses adeptes craignaient. Ils estimaient que le Parti devait ouvrir largement ses portes aux intellectuels bourgeois et petits-bourgeois. Aussi insistaient-ils pour qu’on n’obligeât pas chaque membre à participer aux travaux du Parti et à suivre les directives de l’organisation locale. Ils redoutaient que la proposition de Lénine n’écartât les professeurs, les snobs, les avocats qui, tout en « sympathisant » avec le marxisme, ne voulaient s’imposer aucune discipline.

Quant à Lénine, il songeait d’abord aux ouvriers qu’il voulait grouper dans le Parti.

Ce débat sur le premier paragraphe des statuts avait déterminé immédiatement deux attitudes différentes envers le Parti. La conception de Lénine correspondait à la création d’un parti d’un type nouveau, basé sur l’unité de la théorie et de la pratique révolutionnaires, sur une forte discipline prolétarienne ; d’un parti de composition essentiellement ouvrière se proposant de renverser révolutionnairement le tsarisme, d’abolir l’exploitation capitaliste et de construire la société socialiste sans classes. La conception de Martov tendait à créer un parti à l’image des partis opportunistes de la IIe Internationale caractérisés par la séparation de la théorie et de la pratique, d’un parti dépourvu d’une forte structure d’organisation, d’un groupement peu consistant d’intellectuels petits-bourgeois désireux d’aboutir à un accord avec la bourgeoisie et renonçant à l’hégémonie du prolétariat dans la révolution.

Face aux évènements révolutionnaires imminents, on vit se manifester d’un seul coup tout la différence profonde entre ces deux conceptions des tâches du parti prolétarien. Pas une question politique qui ne suscitât des désaccords entre bolchéviks et menchéviks ;  C’était deux manières différentes d’envisager les tâches de la classe ouvrière dans la révolution qui venait : manière prolétarienne, défendue par les bolchéviks, et manière petite-bourgeoise, défendue par les menchéviks.

Aux élections des organismes centraux du Parti par le IIe congrès, Lénine rallia la majorité et Martov la minorité des suffrages. De là cette désignation : « bolchéviks » (majoritaires) et « menchéviks » (minoritaires).

Dès le début, dès le IIe congrès, bolchévisme et menchévisme ne furent pas seulement deux courants différents ; pratiquement, ils constituaient deux partis indépendants.

Le bolchévisme existe en tant que courant politique et en tant que parti politique depuis 1903[1]

D’autre part, le bolchévisme, surgi de cette base théorique de granit, a eu une histoire pratique de quinze années, de 1903 à 1917, qui, par sa richesse d’expériences, n’a pas sa pareille au monde. Aucun autre pays n’a connu pendant ces quinze ans, même à beaucoup près, autant d’expériences révolutionnaires, quant à la rapidité et à la variété de succession des formes diverses du mouvement, légal ou illégal, pacifique ou orageux, clandestin ou public, parlementaire ou terroriste, réduit à de petits cercles ou embrassant les masses. Aucun pays n’a connu en un laps de temps aussi court semblable richesse de formes, de nuances, de procédés de lutte dans toutes les classes de la société contemporaine et d’une lutte qui, en raison du caractère arriéré du pays et de la pesanteur du joug  tsariste, mûrissait très rapidement, et s’assimilait avec une avidité et un succès particuliers « le dernier mot » de l’expérience politique de l’Amérique et de l’Europe[2] .

Le IIe congrès du Parti adopta le programme du Parti, qui fut la loi des bolchéviks jusqu’en 1919. Il indiquait que le but du mouvement révolutionnaire prolétarien était l’instauration de la dictature du prolétariat.  Ce point décisif fut inclus dans le programme sur les insistances de Lénine, alors que Plékhanov y objectait.

Toutefois, le IIe congrès adopta tout de même la formule proposée par Martov pour le premier paragraphe des statuts. La formule de Lénine fut adoptée par IIIe congrès (1905) qui fut purement bolchévik.

L’un des compagnons d’armes des menchéviks au IIe congrès était Trotski. C’est ainsi qu’immédiatement après le congrès, il publia un opuscule : Nos tâches politiques,  plein d’attaques calomnieuses contre Lénine et dans lequel il préconisait la liberté des groupes et des fractions, niait le rôle d’avant-garde du Parti et la discipline intérieure nécessaire à ce dernier, toutes théories chères aux opportunistes de tous les pays.

Les bolchéviks menèrent aussi à cette époque une lutte très vive contre le parti de la bourgeoisie libérale (les cadets, abréviation de leur appellation de constitutionnel-démocrate) et dénoncèrent leurs tentatives de passer un marché avec l’autocratie tsariste sous le couvert de l’octroi d’une constitution parlementaire étriquée et trompeuse. Alors que les menchéviks subordonnaient le mouvement ouvrier à la bourgeoisie de gauche, la critique bolchévik défendait l’indépendance de la politique et de l’organisation du mouvement prolétarien et de son parti de classe.

Les bolchéviks eurent également à combattre le parti des socialistes-révolutionnaires, parti des paysans riches (koulaks) qui perpétuait les traditions les plus néfastes du mouvement populiste ; ainsi que les anarchistes, dont l’influence était d’ailleurs insignifiante et qui étaient adversaires de toute organisation et de toute discipline, ce qui ne pouvait servir que l’autocratie et la bourgeoisie qu’effrayait la cohésion des masses ouvrières.

Les classes sociales à la veille de la révolution.

Années de préparation révolutionnaire (1903-1905). On sent partout l’approche de la grande tempête. Fermentation et préparation dans toutes les classes de la société[3]

C’était l’époque où la révolution se préparait.

La Russie était en proie à une pénible crise économique qui avait frappé l’industrie textile et, ensuite, la métallurgie et l’industrie houillère.  Des dizaines de milliers d’ouvriers étaient jetés sur le pavé. Un grand nombre d’usines ne travaillaient que trois jours par semaine. Le chômage avait atteint toutes les industries. A Moscou, pour trois ouvriers occupés, il y avait deux chômeurs. Les fabricants tentaient de se servir des chômeurs pour serrer la vis aux ouvriers. Il en résulta un, vaste mouvement gréviste. En 1903 éclata la grève générale en Ukraine et au Caucase. A son tour, la guerre russo-japonaise de 1904 suscita une effervescence parmi les masses ouvrières et paysannes. Aux confins de l’empire, dans les régions habitées par les minorités nationales (Caucase, Turkestan, Pologne, etc.), où les masses travailleuses étaient particulièrement éprouvées par l’oppression tsariste, une forte effervescence révolutionnaire grandissait. Les troubles paysans avaient pris une grande extension, le mécontentement avait pénétré jusque parmi les soldats ; des troubles éclatèrent dans l’armée et dans la marine. L’action révolutionnaire dans la marine atteignit son point culminant lors de la révolte du cuirassé Potemkine en 1905.  La révolution s’étendait à tout le pays.

Le régime tsariste s’appuyait surtout sur la classe des grands propriétaires fonciers. Les tsars eux-mêmes étaient de grands propriétaires fonciers féodaux. Sur d’immenses espaces, les terres les meilleures appartenaient au tsar et à sa famille. Rien que dans la Russie d’Europe, en 1905, les Romanov possédaient 8 millions d’hectares de terres. La famille du tsar détenait une surface de terre égale à un Etat européen moyen. Des centaines de milliers de paysans travaillaient pour le tsar et sa famille dans les conditions d’un véritable esclavage. Le peuple avait à payer des impôts énormes pour entretenir tous les domestiques, les serviteurs du tsar, leurs palais et leurs domaines. Plus de 12 millions de roubles-or étaient absorbés chaque année par l’entretien des palais du tsar.

Outre les impôts écrasants que la population laborieuse avait à payer au gouvernement tsariste, la paysannerie était obligée de verser de très fortes sommes aux propriétaires fonciers sous la forme d’un fermage élevé de la terre, de droit de pacage, etc. Les propriétaires fonciers exploitaient les paysans en les obligeant à rembourser leurs dettes en faisant des journées de travail, à livrer leur blé à un prix dérisoire. La grande masse paysanne était misérable. Un tiers de toutes les exploitations paysannes n’avait pas de cheval, un autre tiers n’en avait qu’un seul. Seule une petite minorité de paysans, les koulaks, la bourgeoisie rurale, vivaient dans l’aisance.

La noblesse détenait tous les postes importants dans le gouvernement et les administrations publiques. La lutte des paysans contre les propriétaires fonciers était en même temps une lutte contre le gouvernement et sa bureaucratie.

Vers le début du XXe siècle, la classe ouvrière était devenue une force suffisante pour organiser et entraîner la paysannerie à la lutte contre la noblesse et l’absolutisme.

Des changements profonds s’étaient opérés à cette époque dans l’économie capitaliste mondiale. Les monopoles grandissaient, la lutte pour les débouchés revêtait une cuité extrême ; la lutte pour un nouveau partage du monde mûrissait : le capitalisme était entré dans le stade impérialiste de son développement.

Le capitalisme russe avait mêlé intimement ses intérêts à ceux de l’impérialisme européen. Les banques étrangères avaient fait affluer leurs capitaux en Russie et avaient pénétré dans l’industrie pétrolière et houillère, dans les mines d’or et dans d’autres industries.

Le capital russe collaborait avec le capital étranger dans de nombreuses branches de l’industrie et du commerce.

A cette époque, l’impérialisme russe manifestait une grande activité en Orient. Cette politique de conquêtes fut une des causes de la guerre russo-japonaise de 1904.

Parallèlement au capitalisme russe grandissait rapidement la classe ouvrière de Russie. La situation des ouvriers dans la Russie tsariste : régime d’arbitraire, pression patronale, atroce exploitation, ne soutenait pas la comparaison avec le sort des ouvriers d’Europe et d’Amérique. Les ouvriers s’épuisaient à peiner douze ou quatorze heures par jour, et ne touchaient qu’un salaire misérable. L’arbitraire des patrons et des surveillants n’avait pas de limites. A la moindre faute, l’ouvrier payait une amende ; il était obligé de dépenser sa paie à l’économat de l’usine, où on lui faisait acheter des marchandises avariées à un prix trois fois trop cher.

Le gouvernement tsariste soutenait et défendait énergiquement ce régime d’arbitraire, l’exploitation que subissaient les ouvriers. Un mécontentement révolutionnaire grondait parmi les masses ouvrières qui devenaient les ennemis acharnés du tsarisme. Le Parti bolchévik faisait de son mieux pour expliquer aux ouvriers que la seule issue possible était le renversement révolutionnaire de l’autocratie. Par son esprit révolutionnaire, la classe ouvrière entraînait aussi la petite bourgeoisie des villes et la paysannerie dans la lutte contre l’absolutisme.

Bien entendu, les aspirations de la classe ouvrière allaient au-delà du renversement de l’autocratie. La classe ouvrière se proposait de supprimer le capitalisme et toute forme d’exploitation et d’oppression.

Cette volonté révolutionnaire du prolétariat faisait peur à la bourgeoisie qui, tout en étant mécontente du régime tsariste semi-féodal, avait encore plus peur de la croissance du prolétariat.   La suprématie des propriétaires fonciers gênait le développement de l’industrie. La bourgeoisie voulait s’emparer du pouvoir. Mais elle craignait l’activité révolutionnaire de la classe ouvrière qui ne voulait pas seulement renverser l’autocratie mais aussi abolir le capitalisme.

Les courants politiques à la veille de la révolution

Les divergences d’intérêts et l’attitude des différentes classes en face de la révolution provoquaient une lutte profonde entre les partis politiques qui représentaient et défendaient les intérêts de ces classes.

Les représentants des trois classes fondamentales, des trois tendances politiques principales – bourgeoisie libérale, petite bourgeoisie démocrate, arborant le pavillon « social-démocrate » ou « socialiste-révolutionnaire », prolétariat révolutionnaire – se préparent par une lutte des plus acharnée, où se heurtent les programmes et les tactiques, à la prochaine lutte déclarée des clases et en donnent une représentation anticipée[4].

Les petits bourgeois se réclamaient du libéralisme. Dès le début de l’essor révolutionnaire, ces partis libéraux-bourgeois se préparèrent à accéder au pouvoir. Effrayés par l’ampleur de la révolution, ils préféraient obtenir de ‘l’autocratie de concessions au moyen d’un compromis, d’un pacte avec le gouvernement du tsar.

Les intérêts de la petite bourgeoisie étaient représentés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires (s.-r). Ces deux partis affichaient une enseigne « socialiste » et « révolutionnaire » mais, en fait, ils étaient les avocats, les défenseurs de la petite bourgeoisie des villes et de la campagne.

Les socialistes-révolutionnaires prétendaient être le parti « paysan » ; en réalité, par leur composition, ils étaient le parti des intellectuels petits bourgeois et des koulaks. Ils ne faisaient pas de différence entre les paysans pauvres et la classe des capitalistes ruraux, les koulaks. Ils étaient des adversaires du marxisme et repoussaient le rôle dirigeant du prolétariat dans la révolution.

Quant aux menchéviks, ils représentaient alors les intérêts de la petite bourgeoisie urbaine, tout en s’affublant du masque marxiste et tout en cherchant à se faire passer pour un parti « ouvrier ».

Les désaccords politiques lors de la scission se sont encore aggravés face à la révolution grandissante. Les menchéviks ne vinrent pas au IIIe congrès du Parti (mai 1905), mais convoquèrent leur conférence séparée qui opposa ses décisions aux décisions bolchéviks du IIIe congrès.

Le pivot de toutes ces discussions des bolchéviks avec les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires était la tactique à suivre dans la révolution imminente, la question : quelle classe devait être la force dirigeante de la révolution ?

Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires estimaient que la révolution devait aboutir à la constitution d’un régime bourgeois démocratique analogue à celui des pays capitalistes comme la France. Ils estimaient que la classe capitaliste devait accéder au pouvoir après la révolution. Ils étaient pour la création d’un Parlement bourgeois, pour une paisible collaboration avec la bourgeoisie ou, tout au plus, une opposition légale au sein du Parlement.

Tout autre était l’appréciation des bolchéviks, et tout autres étaient les tâches qu’ils assignaient à la révolution. La tâche immédiate consistait à renverser l’absolutisme et à instaurer la dictature démocratique des ouvriers et des paysans.

La révolution devait être tournée contre l’absolutisme et les survivances du féodalisme, c’est-à-dire contre l’asservissement des paysans, contre l’autocratie d’un côté ; et contre les privilèges et avantages des classe « supérieures » – noblesse, aristocratie, bureaucratie et clergé, de l’autre ; contre le régime du pouvoir illimité du tsar et de ses gendarmes, contre l’écrasement des masses ouvrières et paysannes ; contre l’oppression des peuples habitant la Russie par les classes dominantes de la nation russe.

Une révolution qui aboutit au renversement de la monarchie, au renversement du pouvoir tsariste et à l’abolition des survivances féodales est une révolution bourgeoise-démocratique.

Quelles étaient en Russie les classes intéressées à la révolution bourgeoise-démocratique ?  Avant tout, la classe ouvrière. Le régime de la domination féodale correspondait à un impitoyable asservissement politique et économique du prolétariat. Mais l’abolition de l’absolutisme n’était qu’une tâche immédiate du prolétariat. Sa tâche historique est de renverser le régime capitaliste, d’instaurer la dictature du prolétariat et de continuer la lutte pour la victoire totale du communisme. Le communisme est le but final de la classe ouvrière. La Russie était un pays où la masse paysanne prédominait. Pour arriver le plus rapidement au communisme, la classe ouvrière était intéressée à créer un régime lui permettant d’organiser efficacement ses forces, de grouper autour d’elle les masses paysannes et d’engager la lutte pour la dictature du prolétariat et le socialisme.

La paysannerie était durement exploitée et désirait s’affranchir. Mais elle ne pouvait se débarrasser de l’exploitation qu’après avoir renversé le pouvoir de la noblesse. La paysannerie voyait que la classe ouvrière était la seule force capable de lutter jusqu’au bout pour le renversement du joug des agrariens, et c’est pourquoi elle marchait coude à coude avec les ouvriers dans la lutte révolutionnaire.

Tant qu’il s’agissait de renverser l’autorité des propriétaires fonciers, la bourgeoisie, elle aussi, était intéressée à la révolution, car il lui importait de s’emparer du pouvoir politique et de créer des conditions propices au développement rapide du capitalisme. Mais la bourgeoisie russe était intimement unie à la classe des propriétaires fonciers et au gouvernement. Aussi craignait-elle la révolution, et surtout l’extension du mouvement dans les masses populaires.

Par conséquent, seule la classe ouvrière alliée à la paysannerie était en état de réaliser dans tous les domaines la révolution bourgeoise-démocratique.

De la transformation de la révolution bourgeoise démocratique en révolution socialiste

La dictature révolutionnaire démocratique de la classe ouvrière et de la paysannerie instaurée après le renversement de l’autocratie devait en finir avec toutes les survivances du féodalisme et inaugurer la transformation de la révolution bourgeoise-démocratique en révolution prolétarienne.

Il disait que la dictature démocratique ne signifiait pas l’organisation de l’ordre mais de la guerre, c’est-à-dire la préparation de la lutte pour l’abolition de la propriété privée, pour le renversement des classes exploiteuses, pour l’abolition de l’exploitation, pour l’instauration de la dictature prolétarienne, pour le socialisme.

Nous aiderons de toutes nos forces les paysans, tous les paysans, à faire la révolution démocratique, pour qu’il nous soit plus facile à nous, parti du prolétariat, d’aborder aussi vite que possible une tâche nouvelle et supérieure, la révolution socialiste[5].

Quant aux menchéviks, ils ne croyaient pas à la possibilité de transformer la révolution bourgeoise-démocratique en révolution socialiste. Ils estimaient que la révolution étant bourgeoise, la bourgeoisie devait en être la principale force motrice. C’était la bourgeoisie libérale qui devait diriger la révolution ; la classe ouvrière devait soutenir la bourgeoisie, la pousser en avant. La classe ouvrière devait agir de concert avec la bourgeoisie et ne pas l’effrayer par son esprit révolutionnaire.

Les bolchéviks ont repoussé cette conception menchévik de la révolution. Ils considéraient la révolution de 1905 comme une révolution bourgeoise-démocratique par son but mais prolétarienne par ses méthodes. Ils disaient que la classe ouvrière devait être au gouvernail de la révolution. Les bolchéviks estimaient que l’alliée de la classe ouvrière, c’était la paysannerie et non la bourgeoisie.

La dictature démocratique correspondait à l’alliance du prolétariat avec toute la paysannerie, celle-ci étant intéressée dans son ensemble à la suppression du joug féodal.  Mais la paysannerie n’est pas homogène : il y a des paysans pauvres et moyens, et il y a aussi des paysans riches.

Au fur et à mesure de la transformation de la révolution bourgeoise-démocratique en révolution prolétarienne la classe ouvrière n’est plus soutenue que par les paysans pauvres. Les paysans riches passent du côté de la contre-révolution. Les paysans moyens attendent en hésitant le résultat de la lutte. Le paysan moyen est tout à la fois un propriétaire et un travailleur. Il est au carrefour : il ne sait pas au juste s’il ne ferait pas mieux d’accompagner les gros propriétaires, la bourgeoisie, ou s’il lui est plus avantageux de marcher avec le prolétariat et les paysans pauvres. Comme les paysans moyens hésitent entre le prolétariat et la bourgeoisie au cours de la révolution prolétarienne, la classe ouvrière est intéressée à neutraliser la paysannerie moyenne.  Après la victoire du prolétariat lorsque la paysannerie moyenne se rend compte des avantages de la dictature prolétarienne, elle passe du cùôté de la révolution, devient l’alliée du prolétariat.

Les menchéviks repoussaient l’idée que la classe ouvrière est une force capable d’organiser et de diriger les paysans, ils niaient les capacités révolutionnaires de la paysannerie.  Ils voyaient dans la paysannerie un adversaire, et non l’alliée de la classe ouvrière. Par contre, ils voyaient dans la bourgeoisie libérale une force de progrès, une force révolutionnaire.

Les menchéviks cherchaient à prouver que le principal objectif de la révolution bourgeoise-démocratique était d’assurer l’accession de la bourgeoisie au pouvoir, après quoi la révolution prendrait fin.

Les menchéviks russes ne formaient pas une exception. Lénine écrivait que les opportunistes du monde entier ne comprenaient pas.

Le rapport entre la révolution bourgeoise-démocratique et la révolution prolétarienne et socialiste. Celle-là se transforme en celle-ci.  La seconde résout en passant les problèmes de la première. La seconde cimente l’œuvre de la première. La lutte, et elle seul, tranche la question de savoir dans quelle mesure la seconde réussit à dépasser la première. (Pour le IVe anniversaire de la Révolution d’Octobre).

La victoire de la révolution n’était possible qu’à l’aide d’une insurrection armée. Le pouvoir tsariste disposait d’un formidable appareil de police, de gendarmerie, de forces militaires. Toute manifestation était impitoyablement réprimée par les fusillades, les bastonnades des cosaques, les passages à tabac, les arrestations, le bagne. C’est pourquoi les bolchéviks préparaient la classe ouvrière et la paysannerie à la lutte armée, ils organisaient des gardes ouvrières. C’est ainsi que le IIIe congrès du Parti, où participaient uniquement les bolchéviks, qui se réunit au printemps 1905, prit une série de décisions précises et pratiques concernant la préparation de l’insurrection armée, le mouvement paysan et le gouvernement provisoire.

Les menchéviks, eux, étaient les adversaires de l’insurrection armée. Ils voulaient espérer que tout se passerait sans effusion de sang et que ce serait assez de simples menaces, de l’agitation dans l’armée, d’une propagande attirant les soldats du côté de la révolution, pour obliger le gouvernement tsariste à remettre de son propre gré le pouvoir à la bourgeoisie.

Trotski avait une position à part dans ces discussions. Il montrait un zèle tout particulier à calomnier les bolchéviks et Lénine.  Après le IIe congrès, Trotski mena une lutte acharnée contre le léninisme. Sa conception menchévik du parti servit de base à la lutte des opportunistes contre le Parti bolchévik.

Dans la question de la révolution de 1905, Trotski présenta une théorie spéciale qui, sous un aspect « révolutionnaire », était du menchévisme pur. Il affirmait que la classe ouvrière doit combattre non seulement les propriétaires fonciers et la bourgeoisie, mais aussi les paysans. La paysannerie était à ses yeux une force réactionnaire.

D’après Trotski la révolution de 1905 devait conduire la classe ouvrière directement au pouvoir, sans la participation et sans l’aide des paysans. Trotski niait l’aptitude de la classe ouvrière de Russie à entraîner à sa suite les paysans et à en faire une force révolutionnaire. C’était l’opinion commune de tous les menchéviks. Trotski ne fit qu’exprimer cette opinion sous une forme démagogique en s’abritant, comme il le fit souvent plus tard, derrière une phrase « gauche ».

Trotski formula la théorie de la « révolution permanente », qui déformait complètement la doctrine de Marx. A son avis la classe ouvrière seule, sans alliés, devait accéder au pouvoir immédiatement après le renversement du tsarisme. « Contre le tsar, pour le gouvernement ouvrier », tel était le mot d’ordre de Trotski. Il prétendait que le prolétariat ne pourrait pas se maintenir au pouvoir si la révolution internationale ne lui venait pas en aide.

Mais personne ne pouvait garantir l’avènement immédiat de la révolution mondiale, et dès lors, il ne restait qu’une conclusion : aussi longtemps que cette garantie n’existerait pas, il était inutile de faire la révolution. Lénine disait que la révolution russe elle-même devait déclencher la révolution mondiale. Il écrivait que la révolution russe devait « mettre le feu à l’Europe », le feu de la révolution internationale, et que la classe ouvrière de Russie devait.

… ne pas attendre que l’Europe s’embrase toute seule, ne pas attendre que le prolétariat européen prenne le pouvoir en mains et vienne à notre secours.

Lénine indiquait encore que les mots d’ordre du Parti devaient prévoir

… non seulement le cas où la révolution serait transférée en Europe, mais aussi l’action pour ce transfert.

A la négation, par Trotski, de l’aptitude de la classe ouvrière à entraîner la paysannerie dans la voie révolutionnaire se rattache la négation de la possibilité de construire le socialisme en U.R.S.S.

En 1905, les bolchéviks étaient obligés de mener une double lutte : contre l’opportunisme manifeste des menchéviks qui préconisaient la transmission du pouvoir à la bourgeoisie et contre le « gauchisme » de Trotski qui discourait sur l’instauration du pouvoir ouvrier sans la participation des paysans, et repoussait l’alliance du prolétariat avec la paysannerie.

  1. LES  ANNEES  DE  REVOLUTION

De la grève générale à l’insurrection révolutionnaire

La révolution de 1905 donna à toutes les classes sociales la possibilité de vérifier dans l’action la justesse de leurs programmes. Les discussions entre bolchéviks et menchéviks trouvèrent leur solution au cours des évènements révolutionnaires. Lénine a dit à propos de cette période :

Chaque mois de cette période vaut, quant à l’étude des principes essentiels de la science politique, pour les masses et pour les chefs, pour les classes et pour les partis, une année de développement « pacifique » et « constitutionnel ». Sans la « répétition générale » de 1905, la victoire de la Révolution d’octobre 1917 eût été impossible[6].

Une première vague révolutionnaire déferla sur le pays à la suite des événements du 9 janvier 1905. Ce jour-là, les ouvriers de Saint-Pétersbourg, avec leurs femmes et leurs enfants, portant des oriflammes et des portraits du tsar, s’acheminèrent vers le Palais d’Hiver pour prier le tsar d’améliorer le sort des travailleurs. Ce cortège avait été organisé par un agent provocateur, le pope Gapone. Effrayé par l’esprit révolutionnaire des masses, le gouvernement tsariste faisait des efforts énergiques pour implanter ses organisations policières parmi les travailleurs, afin de détourner ceux-là des organisations révolutionnaires. Les ouvriers avaient incorporé à leur pétition des revendications empruntées au programme bolchévik. La pétition était rédigée en un style « d’humble fidélité » et finissait ainsi :

Nous tous, ouvriers de la ville de Saint-Pétersbourg, nos femmes, nos enfants et nos parents rendus débiles par l’âge, nous sommes venus te trouver, Sire, pour chercher justice et protection.

Mais les ouvriers furent accueillis aux approches du Palais d’Hiver par les feux de salves de la garde du tsar. Il y eut plus de mille tués, et encore plus de blessés. Ce massacre d’une paisible manifestation porta un coup mortel à la foi dans le tsar et à toutes les illusions des travailleurs quant à la possibilité d’améliorer leur sort par des moyens pacifiques. Les évènements du 9 janvier provoquèrent l’indignation générale et développèrent le mouvement révolutionnaire dans les villes et dans les campagnes.

Des grèves de masse, des démonstrations, des collisions avec la police et la troupe avaient lieu dans les villes. Les grèves économiques se transformaient en grèves politiques, et en insurrections armées. Des actions révolutionnaires éclataient à la campagne. Le mouvement révolutionnaire prit une grande envergure en Pologne, Lituanie, Lettonie, Finlande et au Caucase. Une effervescence révolutionnaire se manifestait aussi dans l’armée.

La révolution de 1905 atteignit son point culminant quand éclata la grève générale politique qui, en décembre, aboutit à l’insurrection armée de Moscou. Des gardes ouvrières s’étaient formées dans les quartiers de cette ville. Par tous les moyens, les ouvriers se procuraient des armes, fabriquaient eux-mêmes des poignards et des pistolets. Des rumeurs émanant de l’armée faisaient croire que les soldats refuseraient de tirer sur les travailleurs. Les autorités tsaristes désarmaient les soldats qui se préparaient à passer aux côtés des travailleurs. En décembre on vit surgir des barricades. Exaspérées par la répression les gardes ouvrières occupèrent les gares, se mirent à désarmer les policiers ; la police se cacha. Le gouverneur de la ville, Doubassov, se réfugia au Kremlin. La vie de Moscou fut suspendue, le trafic des rues avait cessé. Les usines et les chemins de fer ne fonctionnaient pas, sauf sur la ligne Saint-Pétersbourg-Moscou. C’est de Saint-Pétersbourg que furent envoyés les soldats ivres du régiment Sémionovski qui écrasèrent sauvagement l’insurrection à coups de canons et de mitrailleuses et inondèrent de sang les rues de Moscou.

La classe ouvrière eut le rôle dirigeant dans la révolution de 1905. La bourgeoisie suivait anxieusement les progrès du mouvement révolutionnaire. La puissante vague de grèves et d’insurrections paysannes, les révoltes armées des ouvriers, la défection des soldats, et surtout l’insurrection de Moscou, rejetèrent la bourgeoisie dans le camp de la contre-révolution. Ainsi que l’avaient prévu les bolchéviks, la bourgeoisie s’écarta de la révolution, passa dans le camp de l’absolutisme.

Au moment où l’action révolutionnaire du prolétariat était à son apogée, la paysannerie s’était trouvée insuffisamment organisée ; elle retardait sur le mouvement ouvrier. Le parti bolchévik dirigeait la classe ouvrière tandis que les socialistes-révolutionnaires dominaient à la campagne, où leurs hésitations et leurs craintes étaient la cause du retard du mouvement paysan. Cependant, le tsarisme était encore puissant et la terreur policière faisait rage. Le Parti avait à surmonter des obstacles formidables dans la voie de la conquête des masses.

La classe ouvrière est bien organisée lorsqu’elle a à sa tête un parti révolutionnaire s’appuyant sur de multiples organisations de masse. Mais, au moment de la révolution, les organisations de la classe ouvrière étaient très faibles, pour la plupart à l’état embryonnaire. Les Soviets des députés ouvriers qui prirent naissance au cours de la révolution de 1905 en tant qu’organes dirigeants de la lutte prolétarienne, ne surent pas se mettre en rapport avec les paysans.  Trotski était à la tête du Soviet de Saint-Pétersbourg. Comme il voyait dans la paysannerie une force réactionnaire, on ne pouvait guère [7]attendre de lui des actes tendant à établir des rapports avec la paysannerie et à la guider.

Les bolchéviks ont saisi l’immense rôle que pouvaient jouer les Soviets de députés ouvriers à condition qu’ils aient une direction révolutionnaire. Au cours de la première révolution, les Soviets furent déjà les organes du pouvoir révolutionnaire. Mais ils étaient faibles et, dans beaucoup de villes, aux mains des menchéviks. C’est pourquoi ils ne pouvaient diriger la lutte pour le pouvoir. Leur faiblesse ainsi que le soutien que la bourgeoisie libérale et le capital étranger accordèrent au gouvernement tsariste permirent à l’autocratie de maîtriser la révolution.

L’insurrection armée de Moscou et les autres soulèvements ouvriers (en Lettonie, en Géorgie, dans le Donetz, etc.) furent écrasés parce que les ouvriers étaient encore mal armés et insuffisamment organisés. Mais il n’en découlait qu’une conclusion : c’est que le Parti devait obtenir un meilleur armement des travailleurs, organiser des gardes solides, apprendre l’art des batailles de rues, etc. Les bolchéviks se préparaient à de nouveaux combats de classe, à une nouvelle insurrection armée. Quant aux menchéviks, ils tombèrent dans le pessimisme.

Ce sentiment des menchéviks à l’égard de l’insurrection fut exprimé le plus nettement par Plékhanov qui déclara : « Il ne fallait pas prendre les armes. » Lénine repoussa avec indignation cette conclusion de Plékhanov.

Au contraire, il fallait prendre les armes plus résolument, plus énergiquement, dans un esprit plus offensif il fallait expliquer aux masses l’impossibilité de se borner à une grève pacifique et la nécessité d’une lutte par les armes intrépide et implacable[8]

Les menchéviks arrivaient à la conclusion que, d’une façon générale, les insurrections étaient inutiles car elles seraient toujours écrasées. Les bolchéviks raisonnaient autrement : Il faut se préparer à l’insurrection armée de telle façon qu’elle soit victorieuse. Lénine soulignait qu’il est particulièrement important de mener la propagande révolutionnaire parmi les soldats, qu’il faut « lutter pour la conquête de l’armée ».

Il ne suffit pas de se grouper sur les mots d’ordre politiques, il faut aussi se grouper sur la question de l’insurrection armée. Quiconque s’y oppose ou refuse de s’y préparer doit être impitoyablement chassé des rangs des partisans de la révolution, renvoyé dans le camp des adversaires, des traîtres ou des lâches[9].

L’attitude des bolchéviks et des menchéviks envers la Douma tsariste

Le gouvernement tsariste fut obligé, pendant la période de l’offensive révolutionnaire, de « donner au peuple » un semblant de « liberté » de réunion, de presse, de coalition, etc… (rescrit impérial du 17 octobre 1905). Le tsar fut forcé d’accepter la constitution d’un Parlement étriqué, la création d’une Douma d’Empire ; mais les élections furent organisées de telle sorte que c’étaient surtout les propriétaires fonciers, les popes, les commerçants et les gros capitalistes qui pouvaient se faire élire.

Le gouvernement du tsar ne réussit pas à étrangler la révolution d’un seul coup. La lutte révolutionnaire se prolongea en 1906-1907, le gouvernement avait été obligé de tolérer l’existence de la presse révolutionnaire légale, la tenue des réunions, etc.

Les bolchéviks continuaient à organiser l’activité révolutionnaire des masses pendant que les menchéviks enterraient la révolution. Les menchéviks déclaraient que la révolution était finie et qu’il fallait s’adapter aux conditions nouvelles. Tout au contraire, les bolchéviks affirmaient que la révolution n’était pas terminée. Il fallait sauvegarder les forces révolutionnaires, consolider l’organisation du Parti et continuer la lutte.

En 1906, les menchéviks se mirent à préparer les élections à la Douma. Ils considéraient lo’action à mener dans la Douma comme la plus importante. Ils rêvaient de travailler comme les Partis social-démocrates légaux des pays bourgeois d’Europe, en se bornant à la lutte parlementaire.

Les bolchéviks affirmaient que dans une situation qui continuait d’être révolutionnaire, la question du jour n’était pas les élections à la Douma, mais la préparation d’une nouvelle insurrection. La Douma n’était aux mains de la bourgeoisie et de la noblesse terrienne qu’un moyen de faire dévier l’énergie révolutionnaire. Il fallait mener une lutte opiniâtre contre cette manœuvre tsariste au lieu de la soutenir comme le faisaient les menchéviks. Il fallait préparer les masses ouvrières à de nouvelles batailles au lieu de les en écarter par une campagne électorale.

C’est pourquoi les bolchéviks préparaient une nouvelle grève générale ; ils organisaient les masses pour la continuation de la lutte révolutionnaire. Ils se servaient des assemblées électorales pour les transformer en meetings ouvriers. A leur tribune, les bolchéviks attaquaient le gouvernement tsariste, ils engageaient les travailleurs à boycotter les élections et à riposter à l’inauguration de la Douma par une grève générale.

Les trahisons de la bourgeoisie libérale et la lâcheté des menchéviks brisèrent le développement du mouvement révolutionnaire. La première Douma se composa des représentants de la bourgeoisie qui avait à sa tête le parti de Milioukov (les cadets ou Parti constitutionnel-démocrate). Mais cette Douma elle-même paraissait trop « gauche » au gouvernement tsariste.

Le tsar ne tarda pas à la faire disperser. Le gouvernement tsariste entama l’offensive contre la révolution en s’appuyant sur la bourgeoisie. Le reflux de la vague révolutionnaire se fit sentir vers la fin de l’année 1906 et le début de 1907. Dans ces conditions, il n’était plus possible de s’orienter sur une insurrection armée immédiate, et par conséquent de continuer le boycottage de la Douma.

Le Parti résolut de profiter des élections de 1907 (IIe Douma) pour dénoncer aux masses la bourgeoisie libérale et pour répandre les mots d’ordre révolutionnaires.

A la conférence du Parti réunie à la fin de 1906, Lénine proposa que les bolchéviks renoncent au boycottage, non pour se livrer au bavardage parlementaire, mais pour utiliser dans des conditions nouvelles et par des moyens nouveaux la tribune de la Douma pour leur action et leur agitation révolutionnaires.

Pourquoi les bolchéviks avaient-ils jugé utile de boycotter la Douma tsariste et pourquoi ont-ils reconnu plus tard la nécessité d’y participer ? Le boycottage de la Douma au lendemain des barricades de décembre était justifié, la vague révolutionnaire n’avait pas encore reflué et il fallait se préparer à de nouvelles luttes. Mais la vague révolutionnaire ayant commencé à refluer, c’eût été une erreur de ne pas profiter des possibilités de propagande offertes au Parti par les élections et par la Douma elle-même.

Les menchéviks ne voyaient pas de différence entre la situation directement révolutionnaire et la période de reflux. Dès le début, ils s’étaient engagés dans la politique électorale, dans la voie de la collaboration avec la bourgeoisie libérale.

La révolution de 1905 avait trouvé un vif écho en Occident. Des démonstrations de rue eurent lieu, en Autriche, les choses allèrent même jusqu’aux barricades. Elle suscita des mouvements révolutionnaires en Orient (Chine, Turquie, Perse).

Bien entendu, tous les opportunistes attaquèrent la position prise par les bolchéviks. Mais cette position avait été soutenue par les éléments les plus révolutionnaires de la IIe Internationale. Elle renforça l’aile gauche de l’Internationale (Clara Zetkin, Rosa Luxembourg, Mehring, etc.).

Quelles furent les causes de la défaite de la révolution de 1905 ?

Tout d’abord, le retard du mouvement paysan par rapport au mouvement ouvrier, le fait que les points culminants de ces deux mouvements ne coïncidèrent pas dans le temps, le manque d’organisation de la paysannerie. Comme la masse fondamentale de l’armée tsariste se composait de paysans, il en résulta que cette dernière resta entre les mains de l’autocratie.

Ensuite, le fait que le tsarisme, renforcé par les emprunts que lui consentirent les impérialismes étrangers pour réprimer la révolution, réussit finalement à attirer à ses côtés la bourgeoisie libérale, épouvantée par l’ampleur du mouvement ouvrier et de l’insurrection paysanne.

Les bolchéviks ont tiré de la révolution de 1905 une vaste expérience qui leur fut très utile pendant la révolution de 1917.

Lénine étudiait inlassablement cette expérience de la première révolution russe. C’était à ses yeux une « répétition générale » de la future révolution victorieuse.

  1. LES  ANNEES  DE  REACTION

De la conjonction des moyens de lutte légaux et illégaux

La révolution avait subi une défaite. Le tsarisme restait debout. Après une période de désarroi, il abandonna la politique des concessions pour passer à l’offensive. Les bandes policières s’étaient mises à sévir avec une violence extraordinaire. Ce fut le début d’arrestations et de déportations en masse ; les prisons étaient remplies d’ouvriers révolutionnaires. Le knout cosaque dictait la loi dans les campagnes. La révolution était écrasée.

Des années de réaction commencèrent. Les organisations ouvrières légales étaient pourchassées, la presse révolutionnaire interdite. Les potences, les fers, la mise à la torture des prisonniers, les déportations et les fusillades, voilà ce qui caractérisait le régime tsariste pendant cers années.

Mais cette période n’en était pas moins une rude école pour le Parti et la classe ouvrière.

Les partis révolutionnaires sont tenus de compléter leur instruction. Ils ont appris à attaquer. Ils doivent comprendre maintenant que cette science doit être complétée par celle des manœuvres de retraite les plus convenables. Ils sont tenus de comprendre – et c’est par sa propre et douloureuse expérience que la classe révolutionnaire apprend à comprendre – que, pour vaincre, il faut avoir appris à attaquer dans les règles et à battre en retraite dans les règles. De tous les partis révolutionnaires ou d’opposition alors défaits, les bolchéviks avaient battu en retraite avec le plous d’ »ordre, avec le moins de dommage pour leur « armée », avec le moins de pertes pour leur noyau, avec les scissions les moins profondes et les moins irréparables, avec le moins de démoralisation, avec le plus de capacité à reprendre le travail el plus large, le plus régulier et le plus énergique[10] .

Pourquoi le Parti bolchévik a-t-il réussi à battre en retraite avec le moins de pertes possible ? C’est que, malgré les dures conditions de la réaction tsariste, le Parti avait su maintenir la liaison avec les masses grâce à ses organisations clandestines et à ses groupes légaux et à ses cadres éprouvés de révolutionnaires professionnels.

Lénine, de l’étranger, dirigeait tout le travail du Parti. Contraint de vivre dans l’émigration, il n’était pas moins lié de la manière la plus étroite avec les militants illégaux de Russie (tels que Staline) qui lui écrivaient ou allaient le voir.

Pendant les années de réaction, un courant qui tendait à la liquidation totale du Parti prédomina parmi les menchéviks. Ce courant fut appelé liquidateur.

D’après les liquidateurs, la révolution ayant essuyé une défaite, il n’y avait pas à compter sur un nouvel essor, il fallait donc se réorganiser en vue de l’action légale, autorisée par le gouvernement. Quant aux organisations illégales, il fallait les dissoudre, les liquider, c’est-à-dire rompre les relations avec les masses ouvrières, abandonner la préparation de l’action révolutionnaire. Pratiquement, les liquidateurs proposaient la réconciliation avec le régime tsariste en n’admettant l’action ouvrière que dans le cadre de la légalité, dans le cadre toléré par la loi tsariste.

En agissant ainsi, les liquidateurs sont devenus ouvertement les agents de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière. Il était important pour la bourgeoisie que la classe ouvrière ne fût pas organisée pour de nouvelles batailles révolutionnaires et qu’elle ne fût pas dirigée par un parti révolutionnaire.

Cette attitude des liquidateurs fut violemment combattue par les bolchéviks. Ces derniers prirent résolument la défense du Parti, si laborieusement créé en dépit des violentes persécutions policières.

D’autre part, le Parti fut obligé de mener une lutte implacable, dans ses propres rangs, contre un courant qui s’opposait à l’utilisation des possibilités légales, qui condamnait la participation à la Douma, voulait la boycotter à tout prix et voulait qu’on se bornât uniquement au travail clandestin.

C’eût été une grave erreur de s’engager dans la voie où ce courant de « gauche » poussait le Parti. Le succès du Parti dépendait de l’aptitude à mener simultanément l’action légale et illégale. L’orientation des liquidateurs faisait le jeu de la bourgeoisie et du tsarisme.

Il n’aurait pas été moins funeste de renoncer complètement aux formes légales de l’action : c’eût été une erreur, en ces années de réaction, de boycotter la Douma, de ne pas lutter pour l’influence dans les caisses d’assurances, dans les syndicats, etc… Le Parti qui lutte pour la conquête des masses doit utiliser toutes les possibilités pour se lier étroitement aux masses. Comme les assemblées électorales, les caisses de maladie, etc…, donnaient au Parti cette possibilité, c’était un crime de ne pas en faire usage ; La Douma était un lieu d’où l’on pouvait parler, avec des restrictions, il est vrai, d’où l’on pouvait attaquer l’autocratie tsariste, dénoncer la lâcheté de la bourgeoisie et toutes les machinations des ennemis de la classe ouvrière. Il fallait donc utiliser cette tribune. Les discours des députés bolchéviks étaient imprimés dans des tracts et diffusés clandestinement parmi les travailleurs.

Ce n’est pas sans raison que le Parti lutte sans merci contre le groupe de « gauche ».

C’est ainsi que les bolchéviks furent obligés, en ces années de réaction, tout comme pendant la révolution de 1905, dans leur lutte pour le Parti, de se battre sur deux fronts simultanément : à droite, contre les liquidateurs, et à « gauche », contre les otzovistes[11].

La tactique du bolchévisme-léninisme de coordination des moyens de lutte légaux et illégaux s’est brillamment justifiée durant toute cette période et est restée un modèle classique pour les Partis communistes du monde entier.

  1. LES  ANNEES  DU  NOUVEL  ESSOR

Lutte pour le Parti, lutte pour les masses

Après plusieurs années de réaction, vers le milieu de 1910, commença un nouvel essor révolutionnaire de masse.

L’industrie était entrée dans une période de forte animation. Trusts et syndicats se développaient. Le capital étranger affluait. Le capital russe s’unissait étroitement au capital étranger.

La vague gréviste était tombée très bas pendant les années de réaction. Plus de trois millions de travailleurs avaient pris part aux grèves en 1905 ; mais ce nombre tomba à près de 50.000 vers le milieu de 1910. Toutefois, à partir de la seconde moitié de 1919, la vague gréviste monte de nouveau, et le nombre des grèves politiques augmente rapidement. L’autocratie pesait lourdement sur les masses, la terreur policière faisait rage.

Le régime tsariste était devenu tellement odieux que malgré les persécutions policières les plus impitoyables, les démonstrations et les grèves recommencèrent dans le second trimestre 1910. ‘est à cette époque que fut publié le journal ouvrier Zviezda (« l’Etoile »), dirigé par les députés bolchéviks à la Douma. En 1912, le grand quotidien bolchévik Pravda commence à paraître. Ce journal était dirigé par Lénine ; Staline en était le rédacteur en chef. Malgré les persécutions, cet organe lutta vigoureusement pour les mots d’ordre bolchéviks. Le massacre de 210 ouvriers des mines d’or de la Léna en 1912 fit brusquement monter la vague des grèves politiques. Il fallait les diriger, il fallait un solide parti révolutionnaire. Mais les liquidateurs étaient hostiles au Parti ; ils attaquaient les bolchéviks dans les colonnes des journaux bourgeois et, plus tard, ils entamèrent dans leur journal liquidateur Loutch (« le Rayon ») une campagne contre les bolchéviks et la Pravda.

En 1912, les bolchéviks convoquèrent à Prague une conférence qui élit un nouveau Comité central entièrement composé de bolchéviks, dont Staline, alors dirigeant de l’organisation de Saint-Pétersbourg ; ils exclurent définitivement de leurs rangs tous les liquidateurs, les otzovistes et les trotskistes.  Depuis 1903, bolchéviks et menchéviks, tout en étant deux partis différents, avaient eu pendant certaines périodes un Comité central commun. La conférence de Prague mit un terme à cet état de choses. Le Parti bolchévik rompit définitivement avec le Parti menchévik.

Trotski prétendait occuper une position à part, entre bolchéviks et menchéviks ; mais, en réalité il était l’allié des menchéviks.

En 1912, Trotski essaya de former le bloc sans principes (ce qu’on appela le « bloc d’août ») de tous les adversaires du bolchévisme en commençant par les liquidateurs et en finissant par les otzovistes, les hommes du V périod[12]. Il avait réuni les groupes et coteries les plus disparates ; quels que fussent les désaccords entre ces groupes, ils devaient être oubliés au nom de la lutte contre le bolchévisme. C’est à quoi s’employait Trotski quand les bolchéviks menaient une lutte intense mpour le Parti, contre les tentatives de sa liquidation venant de droite et de « gauche ».

Bien entendu, le bloc d’août était une tentative vouée à l’échec, car il est impossible de créer une organisation tant soit peu solide si elle est sans principes, si elle est privée de racines idéologiques communes et se compose de groupes et de clans disparates. Il va de soi que ce bloc se disloqua. Lénine disait à ce propos qu’il était d’autant plus nuisible qu’il usait de moyens « plus astucieux, raffinés, verbeux » pour dissimuler son essence hostile au Parti.

Les bolchéviks dirigeaient les grèves. Les menchéviks se prononçaient contre les grèves en accusant les bolchéviks d’attiser la « fureur gréviste ».  Se conformant à la volonté de la bourgeoisie, les menchéviks et les liquidateurs dénigraient bassement le Parti bolchévik et le journal Pravda. Or, pendant ce temps, les bolchéviks et la Pravda luttaient inlassablement, systématiquement, pour les trois mots d’ordre que la Pravda appela les « trois colonnes » : renversement de l’autocratie, journée de 8 heures et confiscation et répartition des terres nobiliaires.

En luttant pour ces mots d’ordre, en appliquant habilement la tactique de l’utilisation des moyens d’action légaux et illégaux, les bolchéviks conquéraient les masses ouvrières. La bourgeoisie soutenait les menchéviks dans leur lutte contre els bolchéviks. Mais les menchéviks ne réussirent pas à regagner les positions conquises par les bolchéviks au sein de la classe ouvrière.

Lénine écrivit à ce propos :

Les bolchéviks n’auraient jamais pu conserver – sans parler de l’affermir, de le développer et de le fortifier – le noyau solide du parti révolutionnaire du prolétariat entre 1908 et 1914, s’ils n’avaient pas maintenu, au prix de la lutte la plus sévère, l’obligation de combiner les formes légales de la lutte avec ses formes illégales, la participation obligatoire à un Parlement ultra-réactionnaire et à diverses autres institutions régies par une législation réactionnaire (caisses d’assurances)[13].

En 1913-1914, le mouvement gréviste était en train de se transformer en mouvement révolutionnaire. Des barricades avaient surgi dans les rues de Saint-Pétersbourg pendant la visite de Poincaré. Les grèves politiques s’accompagnaient de troubles révolutionnaires dans les campagnes. Les démonstrations ouvrières commencèrent en été 1914 à se transformer en de graves collisions avec la police. Une nouvelle insurrection armée était à l’ordre du jour.

Le bolchévisme sur l’arène internationale

Tout en dirigeant le mouvement révolutionnaire à l’intérieur du pays, et tout en luttant contre l’opportunisme russe, les bolchéviks combattaient non moins énergiquement les chefs opportunistes de la IIe Internationale.

Dès sa fondation, le Parti bolchévik mena une lutte intransigeante contre le menchévisme russe et international. Les bolchéviks critiquaient les idées et les actes opportunistes.  En même temps, ils critiquaient les inconséquences des social-démocrates de gauche (Rosa Luxembourg, Radek, etc.) qui n’avaient pas le courage de rompre avec les opportunistes.  Les bolchéviks ne combattaient pas seulement l’opportunisme non déguisé de Bernstein et de ses partisans, mais aussi le centrisme de Kautsky dont la politique consistait à dissimuler l’opportunisme sous le manteau de la phrase révolutionnaire.

Le centrisme n’est pas une notion d’espace : ici, c’est la droite, là, c’est la « gauche » ; au milieu, les centristes. Le centrisme est une notion politique. Son idéologie est celle du conformisme, l’idéologie de la subordination des intérêts prolétariens à ceux de la petite bourgeoisie au sein d’un parti commun[14].

Ce courant a toujours cherché à retenir les masses au sein de l’opportunisme ; sa mission consiste à tromper les masses par des moyens plus subtils que ceux dont use le menchévisme sans masque.

Trotski fut à la tête du courant centriste en Russie jusqu’en 1917. Les centristes se déclaraient adversaires de l’opportunisme, mais en fait ils tâchaient de concilier le marxisme avec l’opportunisme. E centrisme (en Russie, le trotskisme) dirigeait ses coups contre le marxisme révolutionnaire, c’est-à-dire contre le bolchévisme.

Au cours de leur lutte contre le menchévisme russe et international, les bolchéviks ont œuvré pour créer une aile gauche au sein de la IIe Internationale. Ils avaient la position la plus conséquente alors que tous les militants de gauche n’étaient pas capables de mener une lutte énergique contre l’opportunisme et le centrisme. Par exemple, Rosa Luxembourg, avant la guerre, a pris position contre Lénine dans les affaires russes. Lénine critiqua âprement les erreurs de Rosa Luxembourg et des autres leaders de gauche de la social-démocratie, car ces erreurs étaient un écho des tendances opportunistes.

Cependant, Rosa Luxembourg et l’aile gauche de la social-démocratie internationale avaient aussi leurs mérites révolutionnaires. Les bolchéviks critiquaient leurs erreurs, mais ils soutenaient activement leur lutte contre les menchéviks et les centristes allemands et autres (surtout pendant la guerre impérialiste mondiale, lorsque les chefs de la social-démocratie allemande et de la IIe Internationale passèrent définitivement au camp de la bourgeoisie).

Bien avant la guerre impérialiste, Lénine avait prédit que, pendant la guerre, les opportunistes trahiraient la classe ouvrière et se placeraient aux côtés de la bourgeoisie. Deux congrès de la IIe Internationale se tinrent en 1907 et 1912. Ces congrès votèrent des résolutions contre le soutien de la guerre, celui de Stuttgart de 1907 a même voté un amendement proposé par Lénine et Rosa Luxembourg.

Lénine se méfiait des chefs opportunistes de la IIe Internationale, bien qu’ils eussent voté ces résolutions.  Il était convaincu que les opportunistes de la IIe Internationale n’oseraient pas se dresser contre la guerre. Il les connaissait trop bien pour les croire capables d’appliquer leurs résolutions. La guerre de 1914-1918 a confirmé les prévisions de Lénine.

  • LES  ANNEES  DE  GUERRE  IMPERIALISTES

La désagrégation de la IIe Internationale

La guerre impérialiste mondiale qui éclata en été 1914 soumit à une sévère épreuve

révolutionnaire tous les partis de la IIe Internationale. Seul le Parti bolchévik subit avec

accès cette épreuve. Il s’éleva violemment contre la guerre impérialiste et lutta pour sa

transformation en guerre civile.

On vit alors que les promesses et les engagements solennels des Partis social-démocrates et

toutes les résolutions de la IIe Internationale n’étaient que chiffons de papier. Les

opportunistes passèrent définitivement du côté de leurs gouvernements impérialistes.

La majorité des chefs social-démocrates allemands manifestaient un beau zèle pour démontrer 

leurs ouvriers qu’ils devaient tirer sur les ouvriers français et russes. Les chefs socialistes

français cherchaient à convaincre leurs ouvriers de la nécessité d’aller au front y mitrailler les

prolétaires allemands.

Les menchéviks russes, Plékhanov en tête, prétendaient prouver que les ouvriers et les

paysans russes, polonais et autres, avaient le devoir de faire la guerre aux ouvriers et paysans

allemands, autrichiens et turcs. La IIe Internationale avait cessé d’exister ; elle s’était

effondrée.

Le caractère impérialiste de cette guerre de rapine n’était dénoncé que après les bolchéviks et

un petit groupe de gauche qui soutenait les bolchéviks et forma avec eux l’aile gauche de

l’Internationale.  Ils disaient que les guerres impérialistes ne peuvent être liquidées qu’au

moyen de la suppression du capitalisme, c’est-à-dire à l’aide de la révolution prolétarienne.

Réfutant tous les discours et théories jusqu’au boutistes et pacifistes, Lénine exposa ainsi le

point de vue des bolchéviks sur la guerre impérialiste :

La guerre n’est pas un accident, elle n’est pas un péché comme se l’imagine le prêtre chrétien

aussi bon propagandiste du patriotisme, de l’humanitarisme et de la paix que les

opportunistes), elle est une étape inévitable du capitalisme, une forme aussi naturelle de la vie

capitaliste que la paix. La guerre de nos ours est celle des peuples. Il ne s’ensuit pas qu’il

faille aller avec le courant « populaire » du chauvinisme, mais que, en temps de guerre, d’une

façon appropriée à la guerre, les antagonismes de classe que déchirent le peuple continuent

d’exister et se manifesteront.  Le refus du service militaire, la grève contre la guerre, etc.,

pures sottises, rêve pauvre et craintif d’une lutte désarmée contre la bourgeoisie armée, vœu

d’anéantissement du capitalisme sans guerre civile désespérée ou sans suite de guerres. La

propagande de la lutte des classes, dans la guerre même, est le devoir du socialisme. L’effort

tendant à transformer la guerre des peuples en guerre civile est le seul effort socialiste à

l’époque de la conflagration armée des bourgeoisies de toutes les nations[15].

Alors que les menchéviks étaient pour la cessation de la lutte de classe, pour la paix sociale

avec la bourgeoisie, les bolchéviks, tout au contraire, voulaient la continuation et

l’aggravation de la lutte de classe et la guerre civile. D’ailleurs, il ne pouvait en être

autrement : remplissant leur rôle d’agents de la bourgeoisie, les menchéviks voulaient que la

bourgeoisie n’eût pas à soutenir de lutte de classe à l’arrière-front.  Quant aux bolchéviks,

parti du prolétariat révolutionnaire, ils dénonçaient la trahison menchévik et appelaient la

classe ouvrière à l’insurrection, les soldats à la fraternisation.

Les bolchéviks exigeaient que la classe ouvrière du monde entier cherchât à imposer la défaite

à son gouvernement, que les ouvriers, au lieu de se préoccuper des frontières de leur Etat

bourgeois, s’occupent du renversement du capitalisme et de l’instauration de leur pouvoir

ouvrier. Cette revendication découlait de toute la doctrine révolutionnaire de Marx et d’Engels

qui ont dit bien des fois que :

Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec  sa propre

bourgeoisie[16].

En outre, on accuse les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le

prolétariat de chaque pays doit, en premier lieu, conquérir le pouvoir politique, s’ériger en

classe nationalement dirigeante, devenir lui-même la nation, il est encore par là national,

quoique nullement au sens bourgeois du mot[17].

Non seulement les menchéviks qui se réclamaient franchement  du mot d’ordre de « la

défense nationale » aidaient de leur mieux la bourgeoisie à atteindre ses buts de rapine, de

brigandage, mais les menchéviks qui tergiversaient et voilaient leur trahison à l’aide de

phrases « révolutionnaires » en faisaient autant. Les bolchéviks démasquaient avec une

violence toute particulière les centristes qui, tout en discourant contre la guerre, aidaient en

fait la bourgeoisie à prolonger le massacre.

Au début de la guerre, le leader de la social-démocratie allemande et de la IIe Internationale.

Kautsky, déclara que « l’Internationale était un instrument du temps  de paix » et que, par conséquent, chaque parti n’avait plus qu’à agir à ses risques et périls. Il donnait raison au mot d’ordre de la « défense nationale » prêché par les jusqu’auboutistes.

Mais Kautsky voulait dissimuler son passage au camp de la bourgeoisie impérialiste et, pour tromper les masses, il fit, dans la suite, de douceâtres discours contre la guerre. Trotski aussi av ait une attitude centriste dans la question de la guerre (« ni victoire, ni défaite »). Lénine mettait impitoyablement à nu cette propagande centriste de la paix.

Les jusqu’auboutistes non déguisé »s soutenaient leurs gouvernements au Parlement, votaient les crédits de guerre, faisaient partie des gouvernements bourgeois, visitaient le front pour aider la bourgeoisie à convaincre les soldats qu’il fallait tuer les travailleurs des autres pays et se faire tuer.

Au seul de la seconde révolution

Tout en combattant le jusqu’auboutisme et le centrisme, les bolchéviks menaient sans relâche, malgré les conditions difficiles du temps de guerre, leur propagande révolutionnaire parmi les ouvriers et les soldats en les appelant à renverser l’autocratie par une insurrection armée.

Vers le milieu de 1914, la gendarmerie du tsar dévasta toutes les organisations ouvrières légales et interdit la Pravda.  Une conférence des militants du Parti et des députés bolchéviks de la Douma fut tenue au début de la guerre. Tous les camarades présents furent arrêtés. Le gouvernement du tsar inculpa les députés bolchéviks de « haute trahison » ; ils furent déportés en Sibérie. A la même époque furent arrêtés et déportés les camarades Staline, Molotov, etc.

La police et la gendarmerie établirent un régime de mouchardage, de provocations et de trahisons. Elle procéda à l’arrestation des bolchéviks. Mais le tsarisme ne réussit pas à isoler le Parti bolchévik des masses. Le Parti mena une agitation énergique contre la boucherie impérialiste. Les tracts, les proclamations et la propagande orale dans les usines et dans l’armée furent diffusés pendant toute la guerre mondiale.

L’action des bolchéviks s’est renforcée particulièrement en 1916-1917. La guerre avait désorganisé la vie économique du pays, des grèves commençaient, les soldats désertaient le front. Des trahisons, des actes de félonie se multipliaient à l’arrière-front. Les espions étaient nombreux jusque dans le palais du tsar. Cette longue guerre avait épuisé le pays. L’agriculture privée de la main-d’œuvre masculine et des chevaux mobilisés pour le front périclitait ; Une crise alimentaire commença. L’industrie et les transports étaient paralysés. L’économie nationale était à l’état de délabrement.

La bourgeoisie eut peur ; elle tenta de trouver une transaction avec l’autocratie, voulut mettre au gouvernail des représentants du capital industriel à côté de ceux de la noblesse terrienne. Mais il était trop tard. La révolution perça à la surface. La haine à l’égard de l’autocratie se matérialisa dans une insurrection armée. La révolution perça à la surface. La haine à l’égard de l’autocratie se matérialisa dans une insurrection armée. La révolte avait été précédée d’un grand nombre de grèves et de meetings ouvriers. Au début de 1917, la vague des grèves déferla sur toutes les villes industrielles de la Russie. Les meetings se déroulaient sous le mot d’ordre du renversement de l’absolutisme et de la liquidation de la guerre. Dans bien des villes, il y eut de grandes manifestations de masse organisée par les bolchéviks. Leur indignation ne tarda pas à prendre la forme d’une action armée. Les ouvriers prirent les armes. Les soldats épuisés par la guerre et les femmes d’ouvriers minées par la faim descendirent dans la rue. Des barricades surgirent. Des batailles de rue s’engagèrent avec la police et la gendarmerie. Le gouvernement du tsar ne trouva pas d’appui dans la garnison de Pétrograd. L’autocratie fut renversée (27 février-12 mars 1917).

  • DE  FEVRIER  A  OCTOBRE

La dualité des pouvoirs

La Révolution de Février a clos une longue période de lutte des masses populaires contre le

tsarisme. En quelques jours, la Russie était devenue une République bourgeoise démocratique

dont Lénine disait en avril 1917 :

La Russie est en ce moment, parmi tous les pays belligérants, le pays le plus libre du monde[18].

Tout de suite, on vit se justifier dans la Révolution de Février la position des bolchéviks dans leur

lutte contre le menchévisme et le trotskisme. Le soulèvement révolutionnaire de février 1917 fut

une insurrection ouvrière soutenue par les paysans. La classe ouvrière fut la force dirigeante de la

révolution.

Mais la bourgeoisie sut mettre au service de ses intérêts la victoire des ouvriers et des paysans

insurgés. Elle fut aidée par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. Elle créa un

gouvernement provisoire composé des représentants des fabricants, des banquiers, des marchands

et des propriétaires fonciers (gouvernement du prince Lvov).

Les menchéviks étaient d’avis qu’après le renversement de l’autocratie le pouvoir devait passer

aux mains de la bourgeoisie. Les menchéviks affirmaient aux ouvriers que la bourgeoisie formait

la principale force motrice de la révolution. Mais la classe ouvrière se rendit compte que c’était le

prolétariat qui avait renversé le pouvoir tsariste, que c’était bien lui qui, soutenu par les paysans,

avait fait la révolution. Les menchéviks aidèrent la bourgeoisie à consolider sa domination, à

continuer la guerre impérialiste aux côtés du capital anglais et français.

Les Soviets des députés ouvriers et soldats qui se constituèrent dans les premiers jours de la

révolution tombèrent dès le début aux mains des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires.

Après avoir livré le pouvoir à la bourgeoisie, ces partis assumèrent bénévolement la mission

d’organiser le soutien du gouvernement bourgeois par les Soviets. Les menchéviks ont empêché

les Soviets de renverser la bourgeoisie, mais le gouvernement provisoire n’eut pas la plénitude du

pouvoir. Les Soviets qui se formèrent rapidement dans les villes, à l’armée et dans les campagnes

         furent en réalité un second pouvoir, à côté du gouvernement officiel.                                       

On eut pratiquement deux pouvoirs. L’un d’eux, le gouvernement provisoire, était le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste ; l’autre, les Soviets, celui des ouvriers et des paysans. Cet état de choses ne pouvait se maintenir longtemps, tôt ou tard l’un de ces deux pouvoirs devait prendre le dessus. La dictature de la bourgeoisie ou la dictature du prolétariat devait s’instaurer définitivement.

Lorsque, le 3 avril 1917, après de longues années d’exil, Lénine rentra en Russie, il fut accueilli avec enthousiasme par les ouvriers et les soldats de Pétrograd.

Le lendemain, Lénine présentait ses fameuses « Thèses d’avril » qui devinrent le programme de lutte pour la dictature prolétarienne. Lénine souligna dans ses thèses les traits particuliers de la situation où l’on voyait à côté du pouvoir bourgeois officiel l’embryon du pouvoir des Soviets réalisant en fait la dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et des paysans

Par conséquent, le principe objectif de la révolution bourgeoise-démocratique était atteint. On se trouvait devant l’étape suivante de la révolution : lutte pour la dictature du prolétariat et de la paysannerie pauvre, passage de la révolution bourgeoise-démocratique à la révolution prolétarienne.

Les thèses de Lénine exprimèrent nettement la revendication de la remise du pouvoir aux Soviets.

Pas de République parlementaire. Le retour à celle-ci après les Soviets de députés ouvriers serait un pas en arrière ; mais une République des Soviets de députés ouvriers, journaliers agricoles et paysans, dans le pays entier, de bas en haut[19].

Aucun soutien du gouvernement provisoire, démonstration du caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses[20]

Ce mot d’ordre n’était pas, d’ailleurs, un appel pour le renversement immédiat du gouvernement provisoire.  Les Soviets, appuyés par les masses d’ouvriers, de paysans et de soldats, avaient un pouvoir beaucoup plus étendu que celui du gouvernement provisoire, mais ils étaient encore pour le moment aux mains des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires. Les masses d’ouvriers et de soldats suivaient encore ces agents de la bourgeoisie. Le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets » appelait à la lutte pour la suppression de la dualité des pouvoirs et pour l’instauration du pouvoir révolutionnaire unique des ouvriers et des paysans. Ce mot d’ordre était un appel en faveur de la lutte pour la conquête de la majorité dans les Soviets.

La conférence de Pétrograd, puis la conférence panrusse d’avril approuvèrent entièrement les thèses de Lénine que défendirent Staline et d’autres bolchéviks sur le passage de la révolution bourgeoise-démocratique à la révolution prolétarienne, repoussant ainsi les conceptions de Kaménev qui déclarait que le Parti devait se limiter à la révolution bourgeoise-démocratique, en réalisant le « contrôle et la pression » sur la bourgeoisie et le gouvernement provisoire, en collaborant avec les partis petits bourgeois et en les soutenant. Occupant une position menchévik dans son essence, Kaménev niait que la révolution bourgeoise-démocratique fût déjà accomplie ainsi que le rôle des Soviets comme organes de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans.

La lutte pour la majorité dans les Soviets

Le Parti suivit le chemin qu’il avait tracé déjà pendant la révolution de 1905. La force révolutionnaire représentée par les Soviets de députés ouvriers et soldats donna la possibilité de commencer sans plus tarder la lutte pour la dictature du prolétariat.

Le Parti bolchévik déploya une lutte énergique sous le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux Soviets ». Le Parti dénonçait la politique impérialiste du gouvernement provisoire et des menchéviks et socialistes-révolutionnaires qui le soutenaient. Les bolchéviks et socialistes-révolutionnaires qui le soutenaient. Les bolchéviks faisaient comprendre aux masses qu’on ne pouvait obtenir la paix qu’à condition de conquérir le pouvoir, que le gouvernement bourgeois n’était pas en état de donner aux ouvriers du pain et aux paysans la terre ; que le seul gouvernement capable de donner la paix, du pain et la terre était le pouvoir des Soviets.

Le pays était fatigué de la guerre. Les ouvriers, les paysans à l’arrière et les soldats réclamaient unanimement la paix. Le gouvernement bourgeois, les menchéviks et socialistes-révolutionnaires se préparaient à continuer la guerre.  Le gouvernement de Kérenski tramait une nouvelle offensive au front autrichien. Cela provoquait l’indignation menaçante des masses travailleuses.

Les paysans exigeaient qu’on remît entre leurs mains les terres de la noblesse. Mais le gouvernement refusait de confisquer ces terres et exhortait les paysans à attendre la réunion de la Constituante pour trancher cette question. De là un mécontentement à la campagne et parmi les soldats. Lénine donna cette définition de l’attitude du gouvernement provisoire dans la question des relations avec les paysans :

Attends, pour avoir la terre, que se réunisse l’Assemblée constituante. Attends, pour que se réunisse l’Assemblée constituante, que la guerre soit finie. Attends, pour que la guerre finisse, la victoire totale. Voilà ! Les capitalistes et les propriétaires fonciers, qui ont la majorité dans le gouvernement, se moquent franchement des paysans[21]

L’agitation menée par les bolchéviks au sein des masses avait créé un vaste rassemblement sous les drapeaux du bolchévisme. Les mots d’ordre des bolchéviks étaient largement diffusés parmi les masses travailleuses, ils pénétraient rapidement, au front et à la campagne.

Sous l’influence de cette agitation, les masses d’ouvriers et de soldats se mirent à rappeler les députés menchéviks et socialistes-révolutionnaires et à les remplacer par des bolchéviks.  Ce fut le début d’un puissant essor du mouvement révolutionnaire. Partout, et surtout dans les rues et sur les laces publiques de Pétrograd, ouvriers et soldats manifestèrent en se réclamant des mots d’ordre des bolchéviks. Au front, les soldats russes fraternisaient avec leurs camarades allemands et autrichiens. En réponse à l’ordre lancé par le gouvernement provisoire le 18 juin 1917 pour une offensive générale au front, de violentes manifestations se firent à travers tout le pays, autour des drapeaux et des mots d’ordre des bolchéviks. Les masses se débarrassaient rapidement de l’influence des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires et s’engageaient dans la voie de la lutte pour la dictature du prolétariat.

La préparation de l’insurrection armée

La Révolution d’octobre

Le 3 juillet 1917, les masses d’ouvriers et de soldats de Pétrograd firent une manifestation monstre en réclamant la remise du pouvoir aux Soviets. Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires qui étaient à la tête des Sts s’opposèrent énergiquement aux revendications des ouvriers et de soldats, et le gouvernement provisoire fit massacrer les manifestants par coups de fusil. Le gouvernement provisoire se mit à faire venir du front les corps cosaques et la garde, qui lui étaient fidèles. Les arrestations des bolchéviks commencèrent. Lénine fut contraint de se cacher. Les bureaux de la rédaction de la Pravda furent saccagés. La peine de mort fut rétablie au front. Le Parti bolchévik se trouva soumis à un régime semi-légal : tout en travaillant dans les Soviets et les autres organisations ouvrières, il était obligé de mener son action propre par des moyens illégaux.

C’est dans ces conditions que fut réuni en 1917 le VI congrès du Parti, qui joua un rôle énorme dans la préparation de la Révolution d’Octobre. Ce congrès se déroula sous la direction de Staline, en liaison avec Lénine, qui se trouvait alors dans l’illégalité.

Le pouvoir est aux mains de la clique militaire des Cavaignacs (Kérenski, certains généraux, les officiers, etc.), que la bourgeoisie soutient en tant que classe, le parti cadet en tête, avec les monarchistes agissant par les journaux ultra réactionnaires tels que le Novoïé Vrémia, le Jivoïé Slovo, etc. Ce pouvoir doit être renversé[22].

Le Vie congrès du Parti posa comme tâche fondamentale, immédiate, la préparation des forces à la lutte armée pour le pouvoir, pour la dictature du prolétariat.

C’est au VIe congrès du Parti que Trotski fut admis dans le Parti bolchévik. Mais, comme l’a dit Staline, Trotski, en adhérant au Parti, ne renonça pas à toute une série de conceptions qui devaient, à chaque situation nouvelle du Parti et de l’Internationale communiste, mettre les trotskistes en opposition avec la politique bolchévik léniniste.

L’héroïque lutte des bolchéviks, le renforcement de leur liaison avec les masses malgré les persécutions exercées par le gouvernement de Kérenski, une large campagne tendant à expliquer aux masses le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets », tout cela a abouti à un fort accroissement de l’influence des bolchéviks. A Moscou, la plupart des syndicats étaient passés aux mains des bolchéviks. L’aile bolchévik se fortifiait de jour en jour dans le Soviet de Pétrograd.

Cela ne pouvait manquer d’inquiéter le gouvernement bourgeois.  D’ailleurs, la bourgeoisie était de plus en plus mécontente du gouvernement provisoire, incapable, à ses yeux, d’écraser la révolution prolétarienne qui grandissait. Ces cercles réactionnaires qui avaient à leur tête le général Kornilov voyaient l’influence croissante des bolchéviks dans les Soviets et se préparaient, en conséquence, à frapper avant tout les Soviets.

L’insurrection contre-révolutionnaire organisée à la fin d’août par le général Kornilov avait pour but d’en finir avec les Soviets et d’affermir la dictature de la bourgeoisie. Mais cette révolte fut écrasée par les masses d’ouvriers et de soldats sous la direction du Parti bolchévik.

Le mot d’ordre de l’armement du prolétariat, lancé par le Parti en liaison avec la révolte de Kornilov, aboutit à la formation de gardes ouvrières. La masse ouvrière ne se méprenait plus sur la lâcheté des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires ; elle se mit à les chasser des Soviets, à les remplacer par des bolchéviks. En septembre 1917, les Soviets de Pétrograd et de Moscou étaient déjà aux mains des bolchéviks.

L’heure était venue de conduire les masses ouvrières et paysannes à la conquête du pouvoir, à l’instauration de la dictature prolétarienne.

Ayant obtenu la majorité dans les Soviets de députés ouvriers et soldats des deux capitales, les bolchéviks peuvent et doivent prendre le pouvoir[23].

Prenant maintenant le pouvoir simultanément à Moscou et à Pétrograd (peu importe qui commencera, peut-être Moscou peut-il commencer), nous vaincrons absolument et certainement[24].

Septembre et octobre 1917 furent les mois d’une énergique préparation des masses à l’insurrection. La classe ouvrière de Pétrograd et de Moscou ainsi que des centres industriels s’armait rapidement et se préparait à la prise du pouvoir. Au front, les soldats chassaient des comités militaires les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, et élisaient des bolchéviks à leur place. A la campagne, la prise des terres de la noblesse se faisait spontanément. Dans un très grand nombre de Soviets paysans des voix se faisaient entendre contre les socialistes-révolutionnaires, pour les bolchéviks, pour le mot d’ordre : « La paix, le pain et la terre ».

Le 10 (23) octobre 1917, le Comité central du Parti bolchévik, auquel participait Lénine, alors dans l’illégalité, décida, à l’unanimité des voix contre deux (Zinoviev et Kaménev) la préparation immédiate de l’insurrection.

Pour la direction pratique du soulèvement, le Comité central composé de Staline, Sverdlov, Dzerjinski, Boubnov et Ouritski.

Créé à la veille de la Révolution d’Octobre, le Comité militaire révolutionnaire occupa avec les troupes passées aux Soviets et les forces de la garde rouge les points les plus importants, à Pétrograd. Les gardes rouges et les matelots occupèrent le central téléphonique et ensuite l’hôtel des postes et le télégraphe. Kérenski rassembla les officiers, les élèves des écoles militaires et les bataillons féminins au Palais d’Hiver, où se cacha le gouvernement provisoire. De toute la banlieue de Pétrograd, le gouvernement provisoire fit venir des troupes pour combattre les bolchéviks. Mais, postés sur toutes les routes, les agitateurs bolchéviks arrêtaient ces corps, qui passaient du côté des bolchéviks ou rentraient dans leurs casernes. Le 25 octobre (7 novembre) 1917, le Palais d’hiver fut occupé après des combats acharnés par les soldats rouges et les détachements ouvriers ; le gouvernement provisoire fut renversé. Le pouvoir passa aux mains de la classe ouvrière. Le même jour, s’ouvrit le IIe congrès panrusse des Soviets. Les bolchéviks y furent en majorité. Le congrès proclama la déchéance du gouvernement provisoire et élut un premier Conseil des commissaires du peuple, présidé par Lénine.

La victoire de la révolution prolétarienne acheva, chemin faisant, la révolution bourgeoise-démocratique. Lénine dit plus tard que la Révolution d’Octobre a aboli en passant toutes les survivances du régime tsaristes et féodal. Elle a mis fin à la propriété foncière de la noblesse, des princes et de l’Eglise, et enterré définitivement le régime tsariste. Elle a supprimé les castes, les survivances de l’exploitation féodale à la campagne, l’inégalité juridique et l’oppression sociale de la femme, la position dominante de la religion et de l’Eglise officielle, l’oppression nationale, etc. Aucune révolution bourgeoise en Europe n’avait poussé jusqu’au bout la solution de ces problèmes.

La Révolution russe inaugurait la révolution prolétarienne internationale. Les droitiers, Kaménev en tête, niaient la possibilité d’une révolution prolétarienne en Russie. Ils étaient d’avis qu’une révolution prolétarienne faite en Russie avant le triomphe de la révolution dans les pays d’Europe occidentale serait une « aventure », une entreprise vouée à l’échec. Les droitiers étaient en contradiction avec la théorie de Lénine de la révolution prolétarienne, de la transformation de la révolution bourgeoise-démocratique en révolution prolétarienne, de la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays. C’est pourquoi ils s’élevaient contre les mots d’ordre : « Dictature du prolétariat et de la paysannerie pauvre », « Tout le pouvoir aux Soviets ».

A la veille même d’Octobre, Kaménev fut rejoint par Zinoviev. Ils étaient contre la prise du pouvoir par les Soviets, ils voulaient former un gouvernement de coalition avec les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.

Lénine, Staline et tout le Central combattirent résolument cette position de jaunes qu’avaient prise Kaménev et Zinoviev. Cs « chefs » pris de tremblote se mirent à attaquer le Parti dans des journaux en marge du Parti et laissèrent échapper l’aveu que le Parti se préparait à l’insurrection. Ils se conduisirent d’une façon tout à fait honteuse au moment de la Révolution d’Octobre : ils quittèrent leurs postes, les désertèrent tout simplement. C’était évidement un acte de trahison. Abandonner le front en pleine bataille de classe, c’est là une attitude de lâches et non de chefs prolétariens. Le Parti les blâma sévèrement. Lénine exigeait même leur exclusion du Parti. Cette attitude de reniement de Kaménev et de Zinoviev qui, comme le souligna plus tard Lénine, n’était pas accidentelle, découlait de leur nature opportuniste.

Quant à Trotski, il avait proposé de reculer l’insurrection jusqu’à la convocation du deuxième congrès des Soviets. Cette proposition fut qualifiée par Lénine de trahison de la cause de la révolution internationale.

Grâce à l’héroïsme révolutionnaire du prolétariat et des éléments pauvres de la campagne, la Révolution d’Octobre, guidée par le Parti, triompha et instaura la dictature prolétarienne.

VII.  LES  ANNEES  DE  GUERRE  CIVILE

La paix de Brest-Litovsk

Par ses premiers décrets, le pouvoir des Soviets établit le contrôle ouvrier sur la production,  supprima la propriété privée de la terre, remit aux mains de l’Etat prolétarien les banques, les chemins de fer, etc., annonça les actes entrepris pour la conclusion d’une paix immédiate, définit l’essence politique du nouveau régime dans un document spécial, la « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité »[25], et proclama la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Toutes ces mesures montrèrent le caractère prolétarien du nouveau régime et mobilisèrent autour de lui les masses travailleuses de la ville et de la campagne.

Le pouvoir soviétique supprima les vestiges de l’ancien appareil tsariste.

Dès les premiers jours de la dictature ouvrière, le pouvoir des Soviets se heurta à de formidables difficultés politiques et économiques.

Non seulement les anciennes classes dominantes, mais tous leurs mercenaires et leurs serviteurs et aussi les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, mercenaires et commis politiques de la bourgeoisie, lancèrent des attaques acharnées contre le pouvoir des Soviets en sabotant les lois du nouveau gouvernement, en organisant des actions à main armée contre le pouvoir des Soviets. Bien entendu, les classes sociales renversées ne pouvaient ni ne voulaient accepter cette situation ; elles commencèrent la guerre civile. Dans la région du en Ukraine, à Orenbourg, en Sibérie, en Finlande, les capitalistes et la noblesse, aidés par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, organisèrent les gardes blanches qui, commandées par les généraux tsaristes Kalédine, Krasnov, Doutov, Skoropadski, etc., engagèrent la lutte contre la dictature du prolétariat.

Le pouvoir des Soviets n’av ait pas encore d’armée. Il ne s’appuyait que sur les gardes rouges et les corps révolutionnaires des garnisons de Pétrograd et de Moscou qui avaient pris part à la conquête du pouvoir. Les corps militaires qui étaient au front étaient fatigués de la guerre. La démobilisation de l’armée se faisait spontanément.

L’économie nationale avait été dévastée par la longue guerre impérialiste. L’approvisionnement du pays se trouvait dans un état très pénible. L’agriculture était en décadence. L’industrie périclitait. Les moyens de transport étaient en pleine débâcle.

A cette époque, la principale tâche du Parti était de briser la résistance de l’ennemi de classe, de garder le pouvoir, de créer l’appareil de l’Etat soviétique, de former des forces militaires, d’apprendre à gouverner l’Etat, d’organiser la direction de l’industrie et de toute l’économie nationale sans propriétaires, sans exploiteurs.

Dès les premiers mois qui suivirent la révolution prolétarienne, le Parti eut à mener, sous la direction de Lénine, une lutte énergique contre les opportunistes. C’est ainsi que Kaménev, Zinoviev, Chliapnikov, Riazanov, Noguine, etc., soutinrent la proposition des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks pour la formation d’un « gouvernement socialiste homogène », dans lequel seraient entrés les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires. Kaménev proposa qu’à la place de Lénine, un socialiste-révolutionnaire, Avksentiev ou Tchernov, soit nommé chef du gouvernement ; ce qui eût signifié la liquidation de la dictature du prolétariat et sa transformation en démocratie bourgeoise.

La position de Kaménev et Zinoviev fut condamnée par le Comité central du Parti, et Kaménev fut relevé de son poste de président du Comité exécutif central. Mis en demeure de se soumettre à la discipline du Parti, Kaménev, Zinoviev, Rykov, Milioutine, Noguine, etc., déclarèrent renoncer à leurs postes responsables. Ils s’efforçaient ainsi de faire pression sur le Parti afin qu’il revînt en arrière, de la dictature du prolétariat à la démocratie bourgeoise. Cette attitude fut sévèrement condamnée par Lénine et le Parti qui travaillaient énergiquement au renforcement du pouvoir soviétique.

La plus grosse difficulté était de trancher cette question : comment sortir de la guerre impérialiste.  Au lendemain de la prise du pouvoir, le IIe Congrès des Soviets avait adopté un décret sur la paix[26]. Le pouvoir des Soviets s’était adressé à tous les peuples et à tous les gouvernements des pays belligérants en leur proposant de commencer des négociations de paix. Mais les impérialistes anglais, français et autres refusèrent. Le gouvernement soviétique fut réduit à entamer des pourparlers avec l’Allemagne et l’Autriche seulement.

Les impérialistes allemands posèrent à la Russie des Soviets des conditions de paix extrêmement pénibles. Fallait-il les accepter ou les rejeter ? Cette question suscita des désaccords profonds dans le Parti.

Dans cette lutte menée autour de la paix de Brest-Litovsk (c’est dans cette ville que se faisaient les négociations) se manifesta avec beaucoup d’éclat la nature soi-disant « révolutionnaire » et petite-bourgeoise en réalité, du prétendu communisme de « gauche ».

Contre Lénine, Staline et leurs partisans au Comité central se dressa le groupe des communistes de « gauche » ayant à leur tête les camarades Boukharine, Radek, Piatakov, Iaroslavski, Ouritski, Ossinski, etc… Ce groupe forma une fraction au sein du Parti. Kil considérait la paix de Brest-Litovsk comme une concession  à l’impérialisme allemand, inadmissible pour le parti révolutionnaire du prolétariat. Le groupe réclamait la déclaration d’une guerre révolutionnaire alors qu’on n’avait nulle possibilité de combattre et qu’il n’y avait pas d’armée. Les communistes de « gauche » estimaient que des révolutionnaires ne pouvaient recevoir la paix des mains des impérialistes allemands et préféraient à cette honte une « belle mort » au combat.

Lénine tourna impitoyablement en ridicule cette puérilité des « gauches » ; il disait qu’il ne s’agissait pas de périr même d’une belle mort, mais de donner au pays la paix, si lourde fût-elle, et de gagner du temps, de sauver la révolution, pour entamer ensuite une nouvelle offensive révolutionnaire. Tout comme dans les années pénibles de la lutte contre le tsarisme, Lénine ne craignait pas de faire un travail désagréable, pour servir la révolution ; quant aux communistes de « gauches », ils ne se sentaient pas la force de s’occuper d’un tel travail et de surmonter les difficultés temporaires, de ne pas se laisser décourager par la défaite.

Trotski, qui ne comprenait pas que la paysannerie, et par conséquent l’armée en majorité composée de paysans, étaient épuisées par la guerre, observait une attitude confusionniste, mais au fond il était d’accord avec les gauches et appuyait leur lutte contre Lénine et Staline. Il lança le mot d’ordre : « Ni paix, ni guerre. » Cela voulait dire qu’il fallait refuser de signer la paix, mais ne pas continuer la guerre, et dissoudre l’armée. Lénine faisait remarquer que cette position de Trotski allait aboutir à des conditions de paix encore plus lourdes.

Si les Allemands passent à l’offensive, avertissait Lénine, nous serons obligés de signer n’importe quelle paix et alors, bien entendu, elle sera pire. (Discours sur la guerre et la paix à la séance du Comité central du Parti bolchévik du 24 janvier 1918, t. XXII des Œuvres de Lénine, en russe).

Les « gauches » se joignirent à Trotski dans cette question, et l’on vit se produire ce que Lénine avait prévu. L’impérialisme allemand commença l’offensive, l’armée allemande avança sans rencontrer presque aucune résistance, car le front n’existait plus, en fait. Le pouvoir des Soviets se trouva obligé d’accepter de nouvelles conditions de paix, encore plus pénibles, dictées par l’impérialisme allemand.

Le Parti repoussa les propositions des communistes de « gauche ». Il savait que cette concession que la révolution prolétarienne faisait à l’impérialisme allemand était forcée, inévitable, car on n’avait ni armée, ni ressources, ni munitions, ni denrées pour continuer la guerre contre l’Allemagne. Cela n’empêchait pas les communistes de « gauche » d’attaquer le Parti, de faire pratiquement bloc avec  les socialistes-révolutionnaires de gauche, parti des koulaks qui se drapait dans un manteau révolutionnaire. Les communistes de « gauche » refusaient de s’incliner devant le Comité central, ils tramaient la scission du Parti.

Les « gauches » furent définitivement écrasés au VIIe congrès du Parti (mars 1918). C’est ce même congrès qui donna au Parti l’appellation de communiste (au lieu de social-démocrate) et décida d’élaborer un nouveau programme du Parti, tenant compte des tâches nouvelles qui découlaient de la prise du pouvoir.

Le communisme de guerre

Grâce à la paix de Brest-Litovsk, la Russie des Soviets eut un répit, et elle en profita pour créer son Armée rouge et les conditions nécessaires à l’édification socialiste. Plus tard, ayant consolidé la dictature du prolétariat, le pouvoir des Soviets eut la possibilité de rompre les lourdes conditions de paix que lui avaient imposées les généraux et les impérialistes allemands.

La lutte pour la consolidation de la dictature du prolétariat se déroulait dans les conditions d’une guerre civile acharnée. Tout l’impérialisme mondial se dressa pour la défense des classes sociales renversées en Russie : il lança contre le pays des Soviets ses troupes et ses cuirassés.

La guerre civile se faisait dans les conditions d’une débâcle économique générale après quatre ans de tuerie impérialiste où le pays avait dépensé toutes ses réserves de fer, tous ses stocks de denrées, de combustible, de tissus, etc… Les moyens de transports étaient délabrés, l’industrie détruite. Le pays était ravagé par la famine. Les usines ne fonctionnaient pas.

Les ouvriers et les paysans se trouvaient en face d’armées blanches très bien instruites qui se composaient presque entièrement d’officiers. Ces troupes contre-révolutionnaires étaient bien armées, vêtues, chaussées, approvisionnées : c’était la bourgeoisie mondiale qui se chargeait de les armer et de les ravitailler.

L’Armée rouge ouvrière et paysanne, créée en pleine guerre civile, allait pieds nus, vêtue de haillons. Elle faisait de longues marches, franchissait des espaces immenses, en chaussons de tille ou même sans aucune espèce de chaussures. Quelquefois elle était obligée de se battre sans obus et sans cartouches. Ouvriers et paysans de l’Armée rouge reculaient ou avançaient, coude à coude, résistaient aux plus dures privations, se battaient héroïquement contre les officiers et les généraux blancs, leur arrachaient leurs uniformes anglais et leurs souliers aux grosses semelles, s’emparaient sans armes des tanks et des trains blindés des blancs, de leurs chevaux bien nourris, et renforçaient ainsi la cavalerie rouge.

A l’arrière, dans les usines à moitié détruites et qui ne fonctionnaient plus guère faute de combustible et de métaux, les ouvriers aidaient héroïquement le front en fabricant des obus, des cartouches, des capotes, des jambières, etc …

Les masses ouvrières faisaient preuve d’un enthousiasme admirable. En dépit des privations terribles, des plus grandes difficultés d’approvisionnement, les masses ouvrières luttaient de toutes leurs forces pour ne pas laisser s’arrêter les usines et pour ne pas laisser l’armée sans cartouches.  C’est au cours de la lutte des masses ouvrières pour le combustible, pour l’amélioration du fonctionnement ders chemins de fer et des usines, que naquirent les samedis communistes, dont Lénine a dit qu’ils étaient la manifestation « de l’héroïsme des ouvriers de l’arrière », et que c’était l’expression de la discipline libre et consciente des travailleurs eux-mêmes ».

Au front et à l’arrière, les paysans soutenaient la classe ouvrière dans la lutte contre la bourgeoisie et la noblesse terrienne contre-révolutionnaire. C’est pourquoi les paysans donnaient du pain et du bétail pour l’alimentation de l’Armée rouge et pour le soutien des ouvriers des villes qui fabriquaient les munitions de guerre pour le front.

La guerre civile a duré plus de trois ans. Pendant tout ce temps le pays éprouva une disette terrible de denrées et d’objets manufacturés. Il restait extrêmement peu de pain, de viande, de vêtements, de chaussures dans le pays. Il s’agissait de ne pas gaspiller ces maigres stocks, de ne pas lisser l’armée et tout l’Etat sans denrées et sans munitions. Les paysans et surtout les ouvriers se refusaient le strict nécessaire pour ne pas briser la lutte de l’Armée rouge, pour lui donner la possibilité de vaincre.

C’était l’époque où il fallait inventorier rigoureusement toutes les denrées et tous les objets manufacturés. Leur répartition était faite par les organes de l’Etat selon des normes rigides. Tout commerce était interdit. Les paysans livraient à l’Etat du blé d’après un système de levées alimentaires : l’Etat prenait à l’exploitation paysanne tout le blé, défalcation faite de la quantité nécessaire pour l’alimentation de la famille et du bétail et pour les semences.  Cette période est connue sous le nom de communisme de guerre.

Les paysans assuraient consciemment toutes les charges de la guerre civile, ils voulaient par-dessus tout la victoire sur la contre-révolution militaire et nobiliaire.  Toute l’économie nationale fut employée à la solution de ce problème : organiser la victoire. La production et la répartition furent subordonnées à ce but. Toute la répartition était centralisée, elle ne se faisait plus par le canal du marché.

Ce système, le communisme de guerre, avait été imposé par les circonstances de guerre et les objectifs politiques de guerre du pouvoir des Soviets.

Ainsi se forma, au cours d’une guerre civile dure et harassante, pour la défense du pouvoir des Soviets, pour le maintien du pouvoir du prolétariat, l’alliance militaire et politique des ouvriers et paysans contre la restauration du tsarisme et du capitalisme.

Pendant cette période, toute l’activité du Parti était orientée vers l’écrasement de la contre-révolution. Toutes les meilleures forces du Parti se trouvaient à l’armée. Les camarades Staline, Drjinski, Frounzé, Kouibychev. Vhilov, Ordjonikidzé, Kirov et beaucoup d’autres dirigeants actuels de l’économie nationale étaient au front de la guerre civile, à la tête des armées, ils les animaient pour des exploits héroïques, pour la lutte, pour la victoire.

Le Parti soudait, dans les batailles incessantes et les privations, les efforts révolutionnaires des ouvriers et des paysans.

VIII  LA  PERIODE  DE  RESTAURATION  DE  L’ECONOMIE

Le passage à la Nep

La classe ouvrière et les paysans avaient écrasé la contre-révolution et l’intervention étrangère. Mais la guerre civile avait épuisé le pays et détruit l’économie nationale, déjà ébranlée par la guerre impérialiste. C’est pourquoi, au lendemain de la victoire, s’est posée la tâche de restaurer l’économie nationale ; il s’agissait de reconstituer l’industrie, les moyens de transports et l’agriculture. Le problème principal était le relèvement de l’industrie et, avant tout, de l’industrie lourde.

Dans les conditions de la guerre civile, il était impossible de songer au rétablissement de l’industrie.

Après la guerre civile, la politique des levées alimentaires ne convenait plus pour la reconstitution de l’économie nationale, ni pour le maintien de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans.

La reconstitution rapide de la grande industrie était nécessaire tout à la fois pour des considérations économiques et politiques. Après avoir reconstitué et développé la grande industrie on pouvait relever et réorganiser l’agriculture selon le mode socialiste. Sur la base du développement de la grande industrie il était impossible d’assurer l’union économique de la ville et de la campagne, d’affermir l’alliance des ouvriers et des paysans.

Le village avait besoin de vêtements, de chaussures, de sucre, de savon, de tous les objets manufacturés.

La ville avait besoin, d’autre part, de pain, de gruau, de viande, de toutes sortes de denrées alimentaires. Il fallait intéresser les paysans à semer davantage et mieux. On ne pouvait y parvenir qu’en supprimant les levées alimentaires qui ne stimulaient pas l’augmentation des emblavures.

L’Etat devait satisfaire tous les besoins de la campagne, lui fournir des fichus, des chemises, des pantalons, des chapeaux, des bottes, des clous, des pelles, etc. Mais il n’y avait pas une quantité suffisante de ces objets. On ne pouvait donner à cent millions de paysans, les articles dont ils avaient besoin. Il s’agissait donc de développer la production de ces marchandises par tous les moyens, par l’industrie d’Etat, par la coopération artisanale, et par des entreprises privées. En vue d’activer les échanges entre la ville et la campagne, il fallait rétablir le commerce.

Le Parti passa à une politique économique nouvelle appelée la Nep.

Les levées alimentaires furent remplacées par l’impôt alimentaire. L’exploitation paysanne livrait à l’Etat sous forme d’impôt non pas tout le blé excédant les besoins personnels et économiques du contribuable, mais seulement une partie de cet excédent, selon le taux établi par la loi.  Le reste du blé devenait la propriété personnelle du paysan, et il avait la possibilité de le vendre. Pour que le paysan apportât son blé au marché, il fallait qu’il y trouve en échange des objets manufacturés.  Il s’agissait donc de relever la production des métaux, du charbon, du naphte, des machines agricoles, batteuses, charrues, etc.  C’est pourquoi le Parti mit peu à peu en marche les entreprises de l’Etat. En même temps l’industrie artisanale recommençait à fonctionner. Ainsi, par l’entremise du commerce, se développaient les relations économiques entre la ville et la campagne.

La Nep contribua à intéresser les paysans au développement de leurs exploitations. On vit croître les emblavures et la quantité de plantes industrielles. L’économie nationale commençait petit à petit à se redresser, à sortir de l’état de délabrement.

La Nep fut introduite en 1921. L’Etat prolétarien tenait entre ses mains toute la grande industrie, les banques, les moyens de transport et tout le commerce extérieur. Le capital privé était admis dans le commerce et la petite industrie.

La Nep est une politique de l’Etat prolétarien par laquelle on autorise le capitalisme, tout en conservant à l’Etat les banques, les moyens de transport et tout le commerce extérieur. Le capital privé était admis dans le commerce et la petite industrie.

La Nep est une politique de l’Etat prolétarien par laquelle on autorise le capitalisme, tout en conservant à l’Etat les postes de commandement ; c’est une politique basée sur la lutte entre les éléments socialistes et les éléments capitalistes, sur le développement croissant des premiers aux dépens des seconds et sur leur victoire finale ; c’est une politique tendant à la suppression des classes et à la création des bases de l’économie socialiste[27].

Avec la Nep commença la compétition des éléments socialistes et capitalistes, cette compétition que Lénine avait caractérisée par la question : « Qui l’emportera ? »

Les avantages que possédait le prolétariat consistaient premièrement – facteur le plus important – en ce que le pouvoir était aux mains du prolétariat ; deuxièmement, il détenait le monopole du commerce extérieur, ce qui mettait le régime économique soviétique à l’abri des influences du capital étranger ; troisièmement, la classe ouvrière gardait en main la grande industrie ; quatrièmement, l’Etat prolétarien avait la possibilité d’influer sur le marché : il pouvait réglementer les prix, il tenait entre ses mains le crédit, le système fiscal, etc. Ces avantages ont abouti à la victoire des éléments socialistes de l’économie.

La lutte pour l’unité du Parti

Le passage à la Nep et la restauration de l’économie nationale furent accomplis par le Parti au cours d’une lutte contre de nombreuses déviations et contre de nombreux groupes d’opposition.

Le Parti était en train de passer de la période de guerre civile à l’édification économique. Cette transition s’accompagnait du mécontentement et des hésitations de la petite bourgeoisie urbaine et rurale. Des révoltes eurent lieu en Sibérie, dans l’ancienne province de Tambov, en Ukraine ; en mars 1921, éclata l’insurrection de Cronstadt.

La petite bourgeoisie faisait pression sur la classe ouvrière et les éléments instables du Parti ; elle contribuait à la formation de divers groupes et déviations hostiles au Parti.

A la veille du IXe congrès du Parti (1920), il s’était formé un groupe qui s’appela groupe du « centralisme démocratique », dirigé par Sapronov. Ce groupe protestait contre la direction centralisée de la lutte de la classe ouvrière. Attaquant la structure organique du Parti et la direction du Comité central, ce groupe opposait les Soviets au Parti en se réclamant du mot d’ordre de la « non-intervention » du Parti dans le travail des Soviets. Plus tard, il fusionna avec l’opposition trotskiste et finit par dégénérer en une organisation contre-révolutionnaire.

En 1921, à la veille du Xe congrès du Parti et pendant ce congrès, il se forma une série de groupes fractionnels qui protestaient contre la politique du Comité central dans la question des syndicats et de la politique d’organisation du Parti. La discussion sur les syndicats développée à la veille du Xe congrès reflétait la nécessité d’un tournant dans la politique économique du Parti, qui trouva son expression dans la Nep.

Au cours de cette discussion, Trotski et Boukharine luttèrent contre Lénine, Staline et la majorité du Parti.  C’est à cette époque que se constitua le groupe de « l’opposition ouvrière » qui eut à sa tête Chliapnikov, Médvédiev et Kollontaï. Ce groupe défendait des conceptions petites bourgeoises qui offraient un mélange d’anarchisme et de menchévisme. Par la suite, ce groupe présenta à plusieurs reprises des plates-formes hostiles au Parti.

Pendant toute cette période, Trotski et ses compagnons d’idées attaquèrent avec un acharnement tout particulier la ligne et la direction du Parti. En 1923, Trotski intervint contre le Comité central et tout le Parti en prêchant des conceptions manifestement menchéviks dans la question de la structure organique du Parti ; il attaquait les vieux cadres bolchéviks et tentait de dresser contre eux la jeunesse.

Au cours des années suivantes, Trotski développa un travail de désorganisation au sein du Parti en réclamant la liberté des fractions et des groupes et en se dressant contre la discipline du Parti. Il présenta des propositions qui s’attaquaient aux fondements mêmes de la politique bolchévik. En janvier 1925, l’assemblée plénière du Comité central et de la Commission centrale de contrôle constatait dans sa résolution que « Trotski avait déjà inauguré une campagne contre les bases mêmes du bolchévisme ». Les attaques de Trotski contre le Parti et son Comité central léniniste s’envenimaient de jour en jour. Le principal point de la plate-forme trotskiste était la négation du caractère socialiste de l’économie soviétique : elle cherchait à démontrer l’impossibilité de construire le socialisme dans un seul pays.

Dans cette question, Trotski fut rejoint par Zinoviev et Kaménev, qui formèrent avec lui un « bloc d’opposition ». Ce bloc se livra à des attaques acharnées contre la politique et contre l’unité du Parti, contre sa direction léniniste, le camarade Staline en tête. Il brisait la discipline du Parti, tentait de diviser ses rangs, organisait des comités illégaux avec des cotisations, avec une discipline de fraction, etc.

Il créa son imprimerie clandestine. Le 7 novembre 1927, les trotskistes tentèrent d’organiser une contre-manifestation qui fut dispersée par les ouvriers indignés. Ainsi, les trotskistes av aient montré à l’ennemi de classe les formes d’organisation de la lutte contre le Parti et le pouvoir des Soviets.

Le Parti écrasa sans merci cette fraction qui était devenue une force contre-révolutionnaire ; il chassa les trotskistes du Parti. Plus tard, le trotskisme se mit à lutter activement contre le pays de la dictature prolétarienne, au premier rang des ennemis du pouvoir des Soviets ; il est devenu l’avant-garde de la contre-révolution mondiale.

Les trotskistes voilaient à l’aide de phrases de « gauche » les attaques contre le Parti. C’était une nouvelle tentative du trotskisme de couvrir sa nature menchévik avec des phrases « révolutionnaires ». Les propositions trotskistes étaient imprégnées de scepticisme envers les forces de la classe ouvrière, envers son aptitude à entraîner les paysans dans la voie de l’édification socialiste.  Tout en niant la possibilité d’édifier le socialisme en U.R.S.S. et tout en proclamant à cor et à cri le retard économique et technique du pays, le trotskisme tombait dans les exagérations « surindustrialistes »[28] en poussant le Parti à rompre avec la masse fondamentale de la paysannerie moyenne. Le principal danger qui menaçait le Parti dans cette période (1925-1926) se trouvait à « gauche » ; c’est pourquoi le Parti livrait à ce danger de « gauche » une lutte particulièrement acharnée.

Le Parti discernait non moins clairement la présence d’hésitations opportunistes de droite dans ses rangs. Le Parti condamna le mot d’ordre « enrichissez-vous » lancé à cette époque par le camarade Boukharine, qui aurait abouti à un développement illimité du capitalisme au village. Le Parti condamna aussi la théorie de « l’extension de la Nep » mise en avant par Slepkov et d’autres partisans et disciples du camarade Boukhyarine.  Cette théorie équivalait pratiquement à faire une politique de concessions aux koulaks et de retour au capitalisme dans l’économie.

  1. LA  PERIODE  DE  RECONSTRUCTION

Le Parti en lutte pour l’industrialisation et la collectivisation

Après avoir relevé l’économie nationale, le Parti et la classe ouvrière entamèrent sa refonte

profonde. La XVe conférence panunioniste du Parti tenue en octobre et novembre 1926 définit de

la façon suivante les objectifs du Parti dans le domaine du développement de l’économie

nationale :

La période reconstitutive étant finie, le développement ultérieur de l’économie nationale se heurte

à l’insuffisance et au retard de la base technique de la production léguée par la société

bourgeoise…

Tous les efforts du Parti et de l’Etat soviétique doivent tendre en première ligne à assurer un

élargissement tel du capital fixe[29] qu’on puisse faire graduellement la refonte de toute l’économie

nationale sur une base technique plus haute. Il faut tendre à rattraper en un délai historique

relativement court, et plus tard à dépasser le niveau du développement industriel des pays

capitalistes avancés.

Ces objectifs découlaient directement des réalisations économiques de la période de restauration

qui permettaient de poser comme objectif immédiat du Parti l’industrialisation du pays.

Dès la fin de 1925, les décisions du XIVe congrès ont précisé ces objectifs. Ce congrès est entré

dans l’histoire comme le congrès de l’industrialisation du pays.

Dans la révolution sur le rapport du camarade Staline les tâches économiques fondamentales du

Parti ont été définies de la façon suivante :

Il faut mettre au premier plan la tâche de la réalisation de toutes les mesures nécessaires pour le

triomphe des formes économiques socialistes sur le capital privé… Assurer à l’U.R.S.S.

l’indépendance économique qui empêchera l’U.R.S.S. de se transformer en un appendice de

l’économie capitaliste mondiale ; à cet effet, on devra s’orienter vers l’industrialisation du pays. 

Ces tâches formèrent le programme de toute la période suivante d’édification socialiste, elles

furent à la base du plan quinquennal adopté par le XVe congrès du Parti (décembre 1927). Le

camarade Staline définit comme suit la portée de ce congrès :

Le XVe congrès fut surtout celui de la collectivisation. Ce fut la préparation à l’offensive

Générale [30].

Deux ans et demi plus tard, en juin-juillet 1930, se réunissait le  XVIe congrès du Parti, qui est

entré dans l’histoire du Parti comme le congrès…

… de l’offensive déployée du socialisme sur toute la ligne du front, de la liquidation de la classe

des koulaks et de l’application de la collectivisation complète[31].

Cette large offensive avait été préparée par la politique d’industrialisation du pays.

Le Parti combattait pour l’industrialisation du pays en surmontant d’un côté la résistance contre-

révolutionnaire des trotskistes et, de l’autre, celle opposée à la politique d’industrialisation par les

opportunistes de droite qui attaquèrent à cette époque ouvertement le Parti. Les chefs de

l’opposition de droite étaient les camarades Boukharine, Rykov et Tomski.

Leurs conceptions reflétaient la résistance opposée par les koulaks à la politique d’offensive

contre les éléments capitalistes ;  Ils avaient pris peur devant les difficultés de l’industrialisation

et de la collectivisation de la campagne. L’opposition de droite s’éleva contre la politique

d’industrialisation. Elle exigeait avant tout le développement de l’industrie légère. Cela aurait

renforcé la dépendance économique de l’U.R.S.S. à l’égard du monde capitaliste. L’opposition de

droite préconisait le ralentissement du rythme rapide de l’industrialisation.

Le Parti suivit une politique de renforcement de l’offensive contre les éléments capitalistes.

L’opposition de droite exigeait qu’on renonçât à l’offensive contre les koulaks, elle prêchait la

paix de classe en prétendant que les koulaks allaient s’intégrer pacifiquement au socialisme.

Le Parti appliquait la politique de la construction de sovkhoz et s’orientait vers le développement

de la collectivisation. L’opposition de droite était contre les sovkhoz et les kolkhoz et,

pratiquement, elle favorisait l’hégémonie des koulaks au village. Le Parti luttait pour le

développement de la grande économie collective ; l’opposition de droite pour le développement

de la grande économie koulak. Le Parti combattait pour la refonte socialiste de la campagne ;

l’opposition de droite pour le renforcement des éléments capitalistes à la campagne.

L’opposition de droite tenta de constituer une fraction au sein du Parti. Elle mena des attaques

contre la ligne du Parti, contre son Central et contre le camarade Staline. Les chefs de

l’opposition de droite reprirent les calomnies trotskistes contre le Parti et son régime intérieur. Ils

essayèrent de diviser le Parti, de ruiner sa discipline, etc.

Dans les conditions de la lutte acharnée des koulaks et des éléments capitalistes à l’offensive

socialiste, l’opposition de droite reflétait cette résistance au sein du Parti.

Le Parti écrasa impitoyablement l’opposition de droite, agence des koulaks. La politique du Parti

fut soutenue avec enthousiasme par la classe ouvrière et toutes les masses travailleuses. En

réponse aux piteuses lamentations des opportunistes de droite qui prétendaient que le programme

d’industrialisation n’avait pas de valeur pratique et que le rythme établi pour le plan quinquennal

était irréalisable, la masse ouvrière elle-même lança le mot d’ordre de l’exécution du plan

quinquennal en 4 ans, et le réalisa brillamment.

Sur la base des premiers succès de la période de reconstruction qui aboutirent à un

développement rapide de l’industrie soviétique et à la réorganisation collective de l’agriculture, le

Parti développa une offensive socialiste générale sur tout le front, dans les villes et à la campagne

(XVIe congrès du Parti, juin 1930). Malgré la résistance acharne des classes capitalistes, malgré

la résistance ouverte ou dissimulée des opportunistes de droite et de gauche, le Parti a créé

pendant la première période quinquennale une puissante industrie lourde[32].

Le XVIIe congrès du Parti, qui se tint en janvier 1934 fixa comme objectif principal du Parti : la

disparition définitive des éléments capitalistes et des classes en général, la construction de la

société socialiste sans classes au cours du deuxième plan quinquennal (1933-1937), l’élévation

marquée de niveau de vie des masses et de la consommation et l’achèvement de la reconstruction

technique de toute l’économie.

Que ces objectifs sont en bonne voie de réalisation, c’est ce que démontre mieux que tout

l’élévation de la productivité du travail et, en particulier, le mouvement stakhanoviste qui s’est

répandu avec une telle rapidité parce que la vie en U.R.S.S. est devenue belle et joyeuse.

Le régime kolkhozien a triomphé à la campagne. La ville aussi bien que le village se sont

engagés dans la voie socialiste. La lutte entre les éléments capitalistes et socialistes s’est terminée

par la victoire décisive de ceux-ci : la question « qui l’emportera ? » a été tranchée définitivement

en faveur du socialisme Sur la base des victoires générales de l’édification socialiste et, en

particulier, de la victoire du régime kolkhozien à la campagne, la dernière classe capitaliste, celle

des koulaks, a été écrasée.

Mais les koulaks ne sont pas encore anéantis. Ils continuent à résister sauvagement. Les débris

des classes vaincues tentent, par des procédés divers, de saboter et de détruire l’édification

socialiste.

L’état d’esprit de ces débris des classes possédantes vaincues s’est surtout exprimé au cours de

ces dernières années dans le groupe contre-révolutionnaire de Zinoviev. Rejetés et méprisés par

les masses, les zinoviévistes ont dégénéré en un groupe aveuglé par l’esprit de fraction et ne se

différenciant en rien des bandes de gardes blancs les plus acharnés contre la révolution. Les

zinoviévistes créèrent une organisations clandestine contre-révolutionnaire qui s’était fixée

comme tâche la lutte contre le pouvoir soviétique par les moyens les plus vils, les plus infâmes.

Ils arrivèrent jusqu’à l’espionnage pour le compte des impérialistes étrangers et jusqu’à

l’assassinat des chefs de la classe ouvrière et du Parti, des dirigeants du gouvernement soviétique.

A Léningrad, les résidus de l’ex-opposition zinoviéviste, constituant une organisation clandestine,

assassinèrent en décembre 1934 Serge Mironovitch Kirov, de la vieille garde bolchévik, le chef

des prolétaires de Léningrad.

Appuyé par la vague d’indignation et de colère qui s’empara des masses travailleuses, le pouvoir

soviétique réprima impitoyablement les agissements du groupe zinoviéviste.

Les travailleurs de l’U.R.S.S. s’unirent plus étroitement encore autour du Parti et de son chef,

Staline, et continuent à avancer en rangs serrés sur la voie de l’édification socialiste et de la

société sans classes.

Le Parti bolchévik applique fermement la politique léniniste sur les deux fronts ; il développe

victorieusement la lutte pour l’abolition totale des classes et des survivances de la société de

classe ; pour la création d’un régime socialiste sans classes.

Le chemin parcouru par le Parti bolchévik de l’U.R.S.S. est celui de la lutte héroïque du plus

grand parti révolutionnaire du monde pour le communisme.

Ce chemin a été frayé à travers les plus dures persécutions, à travers l’épreuve des prisons, du

bagne et des potences.

Ce chemin passe par les lourdes épreuves de la guerre civile, de la famine, pour aboutir à de

brillantes victoires.

C’est le chemin d’une lutte sans merci contre le réformisme russe et international, dans toutes ses

variétés et manifestations.

C’est la lutte intransigeante contre les déviations opportunistes au sein du Parti ; contre

l’opportunisme non déguisé (déviation de droite) aussi bien que contre la phrase

« révolutionnaire » petite-bourgeoise (déviation de « gauche ») ; la lutte énergique pour l’unité

idéologique et organique du Parti.

C’est le chemin du développement victorieux d’un petit parti clandestin de révolutionnaires

prolétariens étroitement liés aux masses en un parti qui gouverne un sixième du globe, un pays

qui réalise pratiquement le rêve de toute l’humanité travailleuse, l’édification de la société sans

classes.

Le prolétariat mondial tout entier étudie ce chemin.  C’est dans ce chemin, en emboîtant le pas au

Parti bolchévik de Lénine, que marchent les phalanges d’avant-garde de la classe ouvrière

internationale, les Partis communistes du monde entier.

QUESTIONS  DE  CONTROLE

  1. Quand et pour quel motif s’est faite la scission entre bolchéviks et menchéviks ?
  • Quelle était l’appréciation de la révolution de 1905 par les bolchéviks et les menchéviks ?
  • Quels journaux bolchéviks prérévolutionnaires connaissez-vous, et quel fut leur rôle respectif dans la vie du Parti ?
  • Quelle fut la ligne suivie et défendue par le Parti bolchévik pendant la guerre mondiale ? Quelle fut le principal mot d’ordre des bolchéviks pendant la guerre de 1914-1918 ?
  • Autour de quelle question le Parti mena-t-il la lutte contre le trotskisme pendant la période de restauration ?
  • Qu’est-ce qui distingue la période de reconstruction de la période de restauration ?

TABLE  DES  MATIERES

  1. Les années de préparation de la première Révolution.

Naissance et formation du bolchévisme

Les classes sociales à la veille de la révolution

Les courants politiques à la veille de la révolution

De la transformation de la révolution bourgeoise démocratique

           en révolution socialiste

  1. Les années de Révolution

De la grève générale à l’insurrection révolutionnaire.
L’attitude des bolchéviks et des menchéviks envers la

           Douma tsariste

  1. Les années de réaction

De la conjonction des moyens de lutte légaux et illégaux

  1. Les années du nouvel essor

Lutte pour le Parti, lutte pour les masses

Le bolchévisme sur l’rène internationale

  • Les années de guerre impérialiste

La désagrégation de la IIe Internationale

Au seuil de la seconde révolution

  • De Février à Octobre

La dualité des pouvoirs

La lutte pour la majorité dans les Soviets

La préparation de l’insurrection armée. La Révolution

           D’Octobre

  • Les années de guerre civile

La paix de Brest-Litovsk

Le communisme de guerre

  • La période de restauration de l’économie

Le passage à la Nep

La lutte pour l’unité du Parti

  1. La période de reconstruction

Le Parti en lutte pour l’industrialisation et la collectivisation

Questions de contrôle

  •  

[1] V.-I. Lénine : la Maladie infantile du communisme, p.10. Bureau d’éditions, Paris, 1936.

[2] Idem, p.12

[3] V.-I. Lénine : ouvrage cité, p.12

[4] V.-I. Lénine : ouvrage cité, p.12

[5] V.-I. Lénine : Œuvres complètes, t.VIII, p.235. Editions sociales internationales, Paris, 1934.

[6] V.-I. Lénine : la Maladie infantile, p.13

.

[8] V.-I. Lénine : la Révolution russe de 1905, p. 50-51. Bureau d’éditions, Paris, 1931.

[9] V.-I. Lénine : la Révolution russe de 1905, p. 54.

[10]  V.-I Lénine : la Maladie infantile du communisme, p. 13-14.

[11] Otzovistes : du mot russe otzyv (rappel). Ceux qui étaient partisans du rappel des députés bolchéviks de la Douma.

[12] V périod (« En avant ») : organe des otzovistes ; paraissait en dehors de la Russie.

[13] V.-I. Lénine : la Maladie infantile, p.22.

[14] J. Staline : les Questions du léninisme, t.II, p. 242-243. Editions Sociales Internationales, Paris, 1931.

[15] Contre le courant, t. I, p.19. Bureau d’éditions, Paris, 1927.

[16] K. Marx et F. Engels : Manifeste du Parti communiste, p.21. Bureau d’éditions, 1935.

[17] Idem, p.28.

[18] V.-I. Lénine : la Révolution d’Octobre, p. 8-9. Bureau d’éditions, Paris, 1932.

[19] V.-I. Lénine : la Révolution d’Octobre, p.10.

[20] Idem, p.9.

[21] V.-I. Lénine : la Révolution d’Octobre, p.59.

[22] V.-I. Lénine : Œuvres complètes, t. XXI, p. 49, Editions sociales internationales, Paris, 1930.

[23] V.-I. Lénine : la Révolution d’Octobre, p.97.

[24] Idem, p.100

[25] La Constitution de l’U.R.S.S., p. 108. Bureau d’éditions, Paris, 1935.

[26] Voir le texte dans : la Constitution de l’U.R.S.S., p. 101.

[27] J. Staline : les Questions du léninisme, t. I, p. 371. Editions sociales internationales, Paris, 1931.

[28] Ces clameurs pour la « surindustrialisation » n’empêchèrent pas plus tard les trotskistes d’adopter une position manifestement contre-révolutionnaire que le camarade Staline caractérisa comme un « minimalisme piteux », c’est-à-dire comme un abandon total des rythmes rapides de l’industrialisation.

[29] C’est-à-dire des usines, des mines, des machines, de l’outillage, etc.

[30] Idem

[31] J. Staline : Deux bilans, p.62. Bureau d’éditions, Paris, 1930.

[32] Pour plus de détails sur le développement de l’économie soviétique, voir dans la même collection la brochure n°3 : l’Edification du socialisme.

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